Les émissions culte

Thierry Ardisson

par Francois Branchon le 12/01/2013

Note: 7.5    
spiraleAcheter


Ardisson irrite pour son égocentrisme complaisamment assumé, Ardisson agace pour ce "professionnalismeeee" qui voudrait qu'on anime un jeu débile (au hasard "Happy hour" de Canal +) aussi passionnément qu'une finale olympique, Ardisson écœure surtout pour sa propension à la manipulation : aucune émission en direct, toutes pré-enregistrées et toutes montées, permettant toutes les audaces, au hasard, sur une ancienne émission de France 2, ces fausses vraies interruptions de plateaux par des grévistes, soigneusement "mises en scène" avec l'illusion du direct : subtil, mais pas forcément très déontologique vis à vis d'un public de télévision qui ignore en général tout des subtilités de la post-production.
 
Mais le fait est qu'Ardisson a aussi le talent d'inventer des concepts, d'imaginer des angles, de créer du neuf intelligent, bref d'avoir de bonnes idées - celles dont se demande comment ne pas y avoir pensé plus tôt - des émissions d'offre beaucoup plus que de demande, certes irriguées de la dose trash nécessaire pour tenir l'auditeur en haleine, mais capables de le scotcher trois heures durant devant son écran, quand un Ruquier le congestionne. le soule et l'abrutit au bout d'un quart d'heure.

Ardisson, depuis les années quatre-vingt, a façonné la télévision française au point d'en laisser des traces indélébiles dans les mémoires. L'INA résume en 3 Dvd ses émissions conçues pour France 2 : "Double jeu" (l'arrivée de Baffie, l'info/intox), "Tout le monde en parle" (ou comment occuper toute la soirée du samedi) et celle qui couronna l'animateur, "Lunettes noires pour nuits blanches" à la fin des années quatre-vingt, celle sur laquelle on préfère s'attarder.

Le générique bien entendu auto-complaisant et mégalo de "Lunettes" résume à lui seul le concepteur : au volant d'un cabriolet 404 blanc (sommet du chic post-Colombo), "l'homme en noir" (identifiant visuel) arrive au Palace (sommet de la branchitude parisienne) par l'entrée des artistes (forcément, il y est comme chez lui). L'émission, en équilibre sur la ligne prescriptrice/suiveuse convoque authentiques talents et blaireaux détenteurs de la "carte", pour un contenu hors normes, enfumé, chic et trash (on imagine les saladiers de coke planqués sous les tables), avec musique du moment et invités alcoolisés qui se lâchent. On doute que le service public se risquerait aujourd'hui à accueillir une telle émission-cocktail, qui porte au plus haut le concept cher à Gabriel Matzneff de "téléspectateur-voyeur".