Résistances

Trio Tocanne/ Martin/ Keller

par Sophie Chambon le 31/01/2003

Note: 9.0    

Cet album prouverait que le jazz existe encore s’il était utile de se poser la question. Car c’est la première sensation qui vient se cristalliser lorsqu’on entend ce trio à la formation presque classique - basse batterie et soprano. Onze morceaux dont le premier et le dernier donnent symboliquement leur signature à l’album – "Résistances" - puisqu’il s’agit du "Chant des Partisans", le classique d’Anna Marly. De même que le rouge et le noir, les graffitis de la pochette illustrent avec éloquence l’engagement de l’album. Pourtant aucun mot n’est prononcé, aucun texte ne vient souligner le propos citoyen voire militant énoncé dans le titre pluriel. On est saisi au contraire par une étonnante absence de violence, à moins qu’il ne s’agisse alors une douce violence, de celle qui persiste, qui s’insinue en vous pour mieux vous attacher ; on se laisse porter par la fluidité de ces lignes mélodiques faites de surprises, remarquant la parité entre les trois instruments qui s’équilibrent sans hiérarchie aucune, dans une conversation riche de déclarations limpides et complexes à la fois. Cette musique est une franche affirmation, déterminée et sans compromis par rapport au courant majoritaire qui balaie tout dans l’actuel libéralisme de "l’industrie musicale". Le chant mélodique sort vainqueur, tout en proposant des solutions dans "La sieste à Lulu" : il faut se laisser prendre par "Les méandres du fou", "De la tête au pied", thèmes spécialement composés dans le cadre de ce projet, pour beaucoup improvisés et enregistrés en studio en laissant tourner les magnétos… Tension constante sans aller jusqu’à l’explosion et la cassure, les subversions des codes et des rythmes comme dans le free par exemple, cette musique est dissidente aujourd’hui car elle trouve sa raison d’être dans un parti-pris d’exigence. Bruno Tocanne au sein du trio est le batteur attentif, constamment sur le qui-vive, il prend sa place à part entière dans "Les méandres du fou" favorisant une caisse claire sèche, et résonne dans cet échange intime, jamais conflictuel. Écoutons donc ceux qui veillent tranquillement à ne pas se laisser détourner, et qui ne cèdent jamais à la facilité. Des résistants qui font circuler d’un bout à l’autre de l’album un souffle "révolutionnaire". "Tolérances" affiche la philosophie de l’album. Quand on vous disait, du vrai jazz… Laissez-passer !