Desire

Tuxedomoon

par Jérôme Florio le 29/02/2004

Note: 10.0    
Morceaux qui Tuent
No tears
Incubus
In the name of talent (Italian western two)
New machine


Tuxedomoon est formé en 1977 par deux étudiants en musique électronique de San Francisco, Blaine L.Reiniger (claviers, violon) et Steven Brown (saxophone) : un collectif dont la géométrie varie au gré des allées et venues de membres aux compétences diverses (théâtre, vidéo…), dans le cadre de performances à l'esprit "do it yourself" punk. En 1982, ils signent avec "Divine" la musique d'un ballet de Maurice Béjart, et connaîtront leur plus gros succès commercial avec "Holy wars" en 1985.
A l'époque de leur deuxième LP "Desire" paru en 1981, la formation comprend notamment Peter Principle (guitares) et Winston Tong (chant). Au sortir d'une tournée européenne, ils quittent les USA pour s'installer aux Pays-Bas, à Rotterdam. Précédés d'une réputation underground, ils signent avec le label belge Crammed, sur lequel se croisent des groupes expatriés à l'approche "arty" (entre autres Minimal Compact). Visiblement marqués par les courants d'avant-garde au parfum très "mitteleuropa", les Tuxedomoon trouvent en Europe un paysage en accord avec leurs influences.

"Desire" commence assez abruptement, par un quart d'heure instrumental découpé en quatre mouvements : au départ claviers et saxo atmosphériques, puis un long tunnel et l'ambiance se raidit. Les sons aigres et agaçants d'un téléphone portable primitif ouvrent sur des "soundscapes" hostiles, peuplés de rapaces dont l'ombre va s'étendre sur tous les morceaux (on pense au travail de Brian Eno sur "Innocent and vain" de Nico), plongeant le groupe dans une sourde inquiétude qui donne des sueurs froides. On est prévenu d'emblée par cette mise en jambes inhabituelle : on ne va pas se faire caresser dans le sens des poils.

Lesquels se hérissent sur "Victims" : maintenant que le décor est planté, l'action peut commencer, on fait entrer les acteurs. La ligne de basse sert d'armature rigide, un métronome marque sèchement et implacablement le quatrième temps. Mise en scène mélodramatique dans un cabaret baigné d'une lumière froide et bleutée ("Again") : Winston Tong tord son masque de cire en chantant, en tire des grimaces qui singent la normalité. Une allure anachronique de types en costards (tuxedo) dans un film noir dont le scénario leur échappe. Bouffé par une paranoïa urbaine ("Desire"), l'homme moderne est assailli de signes qu'il n'arrive plus à trier, perdu dans un univers en voie de déshumanisation – le saxo, par le passé instrument de toutes les audaces free, se retrouvera bientôt à trimer dans la pop lyophilisée des eighties. Pour contrer ce sentiment d'enfermement inéluctable, pas grand-chose à faire d'autre que se taper la tête contre des murs invisibles : "Incubus (blue suit)" s'emballe, clavier kraftwerkien, guitares grippées et beats chuintants ; "New machine" est faite de la même tôle froissée qu'"Always crashing in the same car" de David Bowie sur "Low". Un crash au ralenti bizarrement glamour.

La démarche conceptuelle du groupe amène une certaine distanciation : depuis l'autre côté de l'Atlantique, ils jettent sur leur pays natal un regard sarcastique. L'"american way of life" se barre en sucette, des violons de comédie musicale papillonnent et s'écrasent contre la vitre de la rythmique ("Holiday for Plywood" - contrepèterie ?). Sur la cavalcade discoïde dévoyée d'"In the name of talent (Italian western two)" - du Cerrone traumatisé -, la guitare saturée et les claviers vitreux dessinent une Death Valley de synthèse.

Les trois titres du EP "No tears" de 1978 complètent indispensablement la présente réédition. Un Zeppelin plane sur New York ("Lifebulb overkill") ; "Nite and day (Hommage à Cole Porter )", se retrouve tétanisé et teutonisé, relooké Berlin 1942 et placé à la DAF (sic) pour en faire un agent double. L'électro-punk sale et épileptique de "No tears", transe de Stooges robotiques, termine le travail à coups de chaise électrique.


TUXEDOMOON Desire