Valentin Clastrier

Valentin Clastrier

par Hugo Catherine le 07/12/2013

Note: 9.0    
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Faut-il vraiment s'infliger l'écoute prolongée d'un nouveau prototype de vieille à roue unique au monde, version solo ? La réponse est positive, car Valentin Clastrier est un équilibriste ; ses textures se jouent des frontières auditives entre cordes frottées, frappées, pincées, entre archéologie sonore et sons contemporains, ses mélodies brouillent les pistes entre musique sacrée et musique profane, entre chant du monde et sonorités familières. 

"Au fond des temps" est d'une grande profondeur et nous sommes de plain-pied dans le mystère Clastrier. "Grand soleil", vivace, nous renvoie à nos nuits bien à l'est, sur- vitaminées et bien arrosées. "Néogothico-Rococo-Flamboyant" est tout autant néogothique, rococo et flamboyant qu'hypnotique et brillant. L'instrument traverse, en l'espace d'un morceau, un champ sonore d'une belle étendue, de la note médiévale au signal-son noise, sans perte de cohérence et sans volonté démonstrative. L'humour sonore et lexical ne sont pas en reste sur "Viell'mania", où les syncopes sonnent comme du jazz-rock jouissif sous influences exotiques. "Vents solaires" est d'abord un brin plus lunaire mais se réchauffe, petit à petit. Nous pouvons entendre la mécanique intérieure de l'instrument, comme une plongée dans les entrailles de la bête ; à tel point que les bruits s'en échappant ressemblent davantage à des cris apeurés ou effrayants qu'à des notes. Nous sommes presque rassurés de ne pas en entendre plus. "Ad Vitam Aeternam" fait la part belle à une ligne mélodique aux allures de serpent à sonnette, charmant, manipulant par-delà le plancher des vaches ; comme souvent cette ligne mélodique au premier-plan sonore est soutenue par un brame, grave et long, poussant à l'hypnose. "Dialogue", de facture plus expérimentale, agit plus comme une respiration à mi-parcours. Nous entendons ainsi, jusque dans l'agencement de l'album, un goût perfectionniste, indispensable à l'acuité de notre attention auditive. Sur "Venu d'ailleurs", notre esprit peut reprendre ses pérégrinations ; d'une part, nous suivons à la note près les vives ritournelles mélodiques ; d'autre part, nous sommes toujours abasourdis par une lame de fond, grave à souhait. Tapez "Gyroturbation" sur votre moteur de recherche préféré et vous n'entendrez parler que de Valentin Clastrier. Son langage est ainsi fait qu'il est le seul à le maîtriser, il se positionne tout autant comme gardien mystique d'une langue morte que comme géniteur de nouveaux signes oulipiens. Maniant le paradoxe à l'excès, sur "Berceuse énervée", il cherche à nous endormir à coups d'assommoir.  

Assommés, nous le sommes bien sûr en queue d'album ou après multiples écoutes. Nous faisons l'expérience non seulement auditive mais tout simplement physique de la vielle à roue, dans tous ses états. Pour cela, il faut endurer des gyroturbations et autres stridulations, pas d'échappatoire en vue ! "4 vérités", en bout de course, ressemble à ce qu'aurait pu être la free music médiévale, tel un miroir musical à l'excentricité visuelle d'un Jérôme Bosch par exemple. La musique de Valentin Clastrier est plus atemporelle que dada : elle gagne à être entendue comme un précieux témoignage d'une forme de cohérence sonore par-delà temps et espaces, et non comme une énième bizarrerie d'un érudit maboul. Il le dit très bien lui-même : "Je place les musiques, récentes ou moins récentes, qui découlent toutes de l'unique musique que l'on porte en soi, dont on sait la présence, mais que l'on ne connaît pas, au service du cri, silencieux, primordial, intemporel. Je place le cri en toute chose, entre les lignes, au-delà des notes, sous l'égide d'un jour nouveau."