Some things just stick in your mind

Vashti Bunyan

par Jérôme Florio le 04/01/2008

Note: 7.0    

"Some things just stick in your mind" lève le voile sur les tout débuts de Vashti Bunyan, dernière zone d'ombre discographique après l'engouement suscité par la réédition en 2000 de son unique disque "Just another diamond day" enregistré en 1970. Une merveille de douceur pastorale qui n'avait pas pris une ride, et dont l'histoire ne lassait pas d'intriguer - Vashti l'a écrit durant un long voyage en roulotte dans les îles Hébrides, dernière étape avant un retrait définitif du business… La jeune garde néo-baba-folk actuelle (Devendra Banhart, Animal Collective…) est tombée sous le charme et a motivé son retour en 2005 avec un "Lookaftering" au charme étonnamment intact.

En 1964, âgée d'à peine vingt ans, Vashti Bunyan emprunte de l'argent et loue un studio londonien pour une heure, le temps d'enregistrer seule avec sa guitare douze titres qui lui serviront à démarcher les maisons de disque (on entend Vashti annoncer le titre de ses compositions avant de les jouer). Cette bande, semble-t-il miraculeusement retrouvée dans un bon état, constitue le deuxième Cd. Dans leur plus simple appareil, les chansons vont et viennent au bout de deux minutes, toujours au bord de l'effacement, à peine présentes. Vashti chante d'une voix très douce. Plusieurs sont marquées par la saison hivernale ("If in winter (100 lovers)", "Girl's song in winter") – synonyme chez elle de chaleur et de d'engourdissement, et d'un rapport à la nature qu'elle ne pourra exprimer pleinement que bien plus tard.

Un directeur artistique digne de ce nom aurait dû l'encourager et aller dans le sens du développement de sa personnalité. Au contraire, son court passage au sein de l'industrie discographique de l'époque (quatre singles, plus quelques démos, qui remplissent le premier Cd) montre le formatage pop qui était imposé aux nouvelles têtes féminines – qu'elles aient des personnalités aussi différentes que Marianne Faithfull, Nico ou Vashti Bunyan. De quoi relativiser l'âge d'or des "swinging sixties" londoniennes…
Repérée par Andrew Loog Oldham et signée sur Decca en 1965, le premier single est signé Jagger/Richards. Malgré des efforts promotionnels (, le succès n'est pas au rendez-vous pour "Some things just stick in your mind". Arrangé avec force cordes dans la veine pop de l'époque, cela ne colle pas : Vashti Bunyan est trop fragile pour supporter sur ses frêles épaules une telle masse orchestrale. Mais aussi trop forte pour se plier aux désirs de son producteur : elle ne force pas sa voix et engage une sorte de résistance passive, peut-être inconsciente, mais déterminée. "Train song / Love song", enregistré en 1966 pour Columbia, est plus dans son registre naturel et dépouillé (guitare, voix, violoncelle). Nouveau bide. Bunyan retourne alors vers Oldham et enregistre trois singles en 1966-67 pour son label Immediate : aucun ne sortira dans le commerce. L'un deux, "Coldest night of the year" (signé Mann/Weill et prévu comme duo avec Twice as Much), est un contresens total dans le traitement, avec ses arrangements de Noël forcés et une voix masculine en renfort. Quelques démos complètent le Cd, sur lesquelles Bunyan est plus libre et laisse parler sa sensibilité sans entraves.

La suite est connue. Tout l'intérêt de "Some things just stick in your mind" est de montrer le processus d'émancipation qui a conduit Vashti Bunyan à laisser tomber le lissage que lui imposait l'industrie discographique pour vivre selon ses propres règles, ce qui la conduira à "Just another diamond day".


Ndlr : Andrew Loog Oldham réutilisera "Winter is blue", une des démos non publiées de 1966 pour la BO de "Tonite let's make love in London" (premier film de Peter Whitehead, avec Michael Caine) publiée sur son label Immediate en 1968 (sous le simple patronyme de Vashti).