Ghetto bells

Vic Chesnutt

par Emmanuel Durocher le 10/08/2005

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Forthnight
What do you mean ?
Virginia


N'ayant plus écouté Vic Chesnutt depuis une dizaine d'années avec ses albums "Drunk" et "Is the acter happy?", je suis complètement à côté de ses albums suivants comme "About to choke", "The salesman and Bernadette" ou le dernier en date "Silver Lake" en 2002 ; une lassitude s'était installée, j'avais un peu décroché. Pourtant le songwriter mérite qu‘on s‘intéresse à lui…

Né voici près de quarante ans, il a grandi à Pike County, sorte de trou du cul de la Géorgie dans un environnement tout ce qu'il y a de plus redneck (grand-père au Ku Klux Klan, ses camarades d'école lui filent des torgnoles car il aime l'art, la bonne ambiance …), le pauvre Vic n'arrive vraiment pas s'intégrer et pourtant il affirme avoir fait des efforts, victime déjà d'une certaine forme de handicap il n'a pour compagnie que les chiens, les armes et la musique. Puis vient l'alcool avec un premier coma éthylique à quinze puis l'escalade pour finir, trois ans plus tard, définitivement en roulette après un accident de la route où il était complètement bourré.

Comme ses jambes ne lui servent plus, il fallait faire usage de son cerveau : départ pour Athens, ville universitaire et respirable de son état, l'alcool et les envies suicidaires restent les facteurs d'inspiration principaux, il chantent dans les bars et se fait remarquer par Michael Stipe de R.E.M. qui produira son premier album "Little" enregistré en cinq heures en 1990, depuis une dizaine d'album se sont succédés (dont certains produits par Kurt Wagner de Lambchop) jusqu'à "Ghetto bells".

L'homme de fer du sud profond est toujours bien entouré puisqu'on le retrouve accompagné du guitariste de jazz Bill Frisell et de Van Dyke Parks célèbre pour sa collaboration sur "Smile" de Brian Wilson. Pour compléter le tableau, il ne faut pas oublier Don Heffington des Jayhawks à la batterie, Dominic Genova et Tina Chesnutt (épouse et soutien moral du chanteur) à la basse et Liz Durett aux chœurs (dans la famille Chesnutt, je demande la nièce).

On est quand même assez loin du dénuement des débuts, la production est très léchée mais la voix du chanteur ne change pas : reconnaissable entre toutes, unique…et pourtant avec une petite tendance caméléon pour se fondre dans le paysage musical de chaque titre : souvent rugueuse et rêche, parfois douce et apaisée.

Les titres s'enchaînent dangereusement, avec autant de personnalités différentes on pourrait s'attendre à un mélange assez improbable et pourtant la recette prend immédiatement : il y a bien sûr des morceaux qui sonnent comme du Vic Chesnutt pur et dur, dès le premier : "Virginia" déclaration d'amour désespérée et ambiguë ("Virginia, I love you too much to survive / Virginia, my lover, my mum") ou des ballades folk assez dures ("Got to me") ou plus douces en apparence ("Ignorant people" et "The garden" tout seul à la guitare) mais l'influence des collaborateurs se fait largement sentir sur "To be with you" et son orgue Hammond, l'accordéon et les arpèges cristallins de "Rambuctious cloud", les sonorités très jazzy de "Vesuvius" ou les percussions ethniques de "Gnats". Quant au pamphlet anti-Bush "Little Caesar", il peut dérouter et prendre l'auditeur à contre-temps mais après quelques écoutes, on se laisse prendre au jeu de ce Sister Ray sous prozac. Gardons le meilleur pour la fin, "What do you mean ?" est un échange vocal de toute beauté entre Vic et sa nièce auquel vient s'ajouter en milieu de morceau la guitare aérienne de Bill Frisell (on est pas loin des Beach Boys de la grande époque) et les sept minutes de "Forthnight" brillent par leur minimalisme avec sa basse lente et ses accents qui rappellent Spain, le chanteur se permet même quelques envolées fulgurantes qui le rapprochent du regretté Jeff Buckley.

De toute manière, pas de salut chez Vic Chesnutt, on assiste toujours à la description d'une Amérique proche et lointaine à la fois : tourmentée, dure, cruelle… il ne se fait aucune illusion sur les autres ou sur lui-même, l'important étant d'appréhender et de graduer la gravité de la situation.