| | | par Francois Branchon le 16/10/2007
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| Très longtemps bootleg recherché, le concert de Weather Report à Montreux en 1976 sort enfin des malles du festival suisse. Ce concert-là fut en effet une pierre blanche : jamais aussi magiques sur une scène "avant", et jamais plus "après". Weather Report est formé à l'orée des années soixante-dix par le pianiste austro-tzigano-hongrois de Vienne Joe Zawinul (qui vient de nous quitter), à la suite des explorations et explosions de formats de Miles Davis, "In a silent way" (1969) et le fracassant double album "Bitches brew" (1970), deux chaos vivifiants dont Zawinul fut partie prenante. De ces deux aventures qui marquent le musicien, sinon l'homme, il fait naître son Bulletin Météo - idée : croiser le jazz, le rock et la musique latine - en compagnie des jazzmen reconnus Miroslav Vitous et Wayne Shorter et de percussionnistes/batteurs latinos. Weather Report joue du "jazz rock", un des premiers à recevoir cette étiquette (avec Jean-Luc Ponty, Terje Rypdal, Return to Forever de Chick Corea...). Plus tard, lorsque le genre fut déshonoré par les techniciens exhibitionnistes, on préféra parler de "jazz fusion".
"Montreux 1976" est une pierre blanche d'abord circonstancielle : le concert est le premier qui suit la sortie de "Black market", premier des albums à connaître à la fois succès critique et reconnaissance populaire (en grande partie grâce au monde du rock), c'est aussi une des toutes premières prestations sur scène de Jaco Pastorius, un jeune bassiste à l'ego sur dimensionné qui venait de remplacer Vitous (il s'était présenté à Zawinul en déclamant : "mon nom est John Francis Pastorius III, et je suis le plus grand bassiste de tous les temps"). Mais une pierre blanche musicale à posteriori : il est un des derniers concerts de "musique" de ces musiciens au fait de leur art, se consacrant ensemble à faire swinguer une scène, une salle, à s'y éclater et rien d'autre. Car la suite sera redoutable pour Weather Report, la tournée de 1977 promotionnant l'album "Heavy weather" (gros succès commercial) sera grotesque, sombrant dans tous les clichés du hard fm, avec light show, fumées à gogo, effets spéciaux, moulinets...
"Montreux 1976" est superbement restauré, le son est chaud et présent, même si la batterie d'Alex Acuna, les percussions de Manolo Badrena et le sax de Wayne Shorter sont parfois un peu trop en avant. Leur configuration était nouvelle, et cependant les musiciens sont magnifiquement ensemble et aptes à improviser (on entend même Zawinul créer des mélodies qui en annoncent de futures - l'intro de "Dr Honoris Causa and directions" qu'on retrouvera dans "Birdland" sur "Heavy weather". Un peu à part, statique au milieu de cette fournaise, Pastorius est résolument appliqué et concentré sur son manche fretless (quelle démonstration), et on sent la peur de mal faire parfois le saisir... mais on sent aussi la "légende en marche" - technique époustouflante, phrasé mélodique, avec de l'âme bien sûr sinon à quoi bon ! Bons moments : la fusion atmosphérique de "Elegant people" et de "Scarlett woman", le tendu "Barbary coast" (sax hurlant de Shorter et basse complexe de Pastorius), mais surtout la version de "Black market", une vraie symphonie joyeuse et renversante, tout en percussions, synthétiseur et piano électrique (Zawinul), vrai voyage en Afrique, couleurs, odeurs et saveurs comprises.
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