D'abord vous vous
rendez à Abuja ou à Lagos. Puis vous vous décidez à prendre un
vol national jusqu'à Enugu, qui se trouve dans le sud-est du
Nigeria. Dans l'avion, vous êtes le seul étranger, tout le monde
vous a repéré. A l'atterrissage, vous réalisez que l'aéroport
d'Enugu a la taille d'un aérodrome de province. Vous êtes en pleine
campagne nigériane. Vous prenez un taxi, vous roulez sur des chemins
de terre, vous traversez des villages. En dix minutes, vous êtes
dans le centre-ville. Vous allez à l'adresse qu'on vous a indiquée.
L'endroit ressemble à un magasin abandonné. Une femme est assise
sur une chaise en plastique. Un vieil ordinateur croupit dans un
coin. La pendule accrochée au mur ne donne même plus l'heure. La
femme vous demande : « Vous êtes venu pour rencontrer le Chef ? ».
Puis elle rajoute : « Vous êtes de Russie ? ». C'est à ne rien y
comprendre. Vous montez avec elle dans un autre taxi et vous voyagez
pendant une bonne demi-heure à travers la brousse. Finalement, vous
arrivez à destination, une grande demeure dans le style seventies,
construite au milieu des bois. Dans la cour, il y a une fontaine qui
ne marche pas et une Mercedes est garée le long du bâtiment.
L'épouse de votre hôte vous accueille et vous invite à patienter
dans l'immense living-room. Des bobines de films et des instruments de
musique traînent un peu partout. A l'étage, un homme vous attend.
Cet homme, votre hôte, c'est William Onyeabor en personne.
Ce récit, c'est
celui que nous fait un émissaire de Luaka Bop sur le site
Internet du label. Depuis déjà quatre ans, Yale Evelev, producteur
exécutif, avait pour projet d'éditer quelques-uns des titres
composés par Onyeabor entre le milieu des années 70 et le milieu
des années 80. Faute d'éléments biographiques fiables, et après
avoir essayé, à de multiples reprises, d'entrer en contact avec le
musicien, il tente le tout pour le tout et décide d'envoyer
quelqu'un sur place. L'employé du label rencontrera bien le Nigérian
mais le récit s'arrête là ; on n'en saura pas plus. Après Os
Mutantes, Shuggie Otis, Tim Maia et une compilation consacrée à
l'Afrique de l'Ouest, "Who is William Onyeabor ?" est le le
cinquième volume de la collection World Psychedelic Classics.
Certains disent que William Onyeabor aurait étudié le cinéma en
URSS dans les années 70 avant de rentrer au pays. Une légende
autochtone raconte aussi que s'il a pu enregistrer des disques avec
du matériel Moog alors que ces instruments étaient hors de prix et
difficiles à trouver sur le sol africain, c'est tout simplement
parce qu'il avait été embauché comme représentant pour la marque
de synthétiseurs. Ce que nous apprend ce disque, c'est surtout qu'on
n'en sait trop rien. Peu de notes, pas de complément d'enquête, "Who
is William Onyeabor ?" restera finalement comme une aventure
éditoriale incongrue, une compilation de morceaux introuvables,
concoctés par un musicien à l'histoire incertaine, sur lequel on ne
dispose que d'informations de seconde main.
Reste quand même
l'essentiel, c'est-à-dire une série de titres (treize sur la version
vinyle et neuf sur le CD) complètement à part dans le paysage musical
nigérian des années 1975-1985. Le clubbing district n'a qu'à bien se tenir,
du déjà culte "Atomic bomb" au démentiel "Good name" en
passant par les jubilatoires "Something you will never forget" ou encore "Fantastic man", le disque tente de restituer un échantillon de cette transe
kitsch et cool qui aura sévi quelque part, en marge de l'afrobeat et
de la juju music, sur l'orbite d'Enugu. Une bonne partie des morceaux
durent aux alentours de dix minutes et feront les beaux jours des dancefloors d'ici ou d'ailleurs. Si l'on peut regretter
l'absence de "Better change your mind" (un des morceaux les plus
connus d'Onyeabor qui circule déjà depuis un moment sur le Net),
pour le reste, Luaka Bop a bien sûr sélectionné le meilleur de
l'arsenal. Sur fond de
discours pacifistes et de slogans à la gloire de l'amour,
Onyeabor déploie toute une artillerie groovy et psyché à base
d'électronique intensive. Des bombes disco, des missiles funky et une propagande de
choeurs féminins. Des cuivres sonnants et trébuchants, des
explosions de wah-wah en veux-tu en voilà. Des torpilles peace and
love dans un ciel agité de Moog et de synthés ondoyants. Ce disque
est bien entendu une véritable curiosité ; c'est aussi un plein
baril de merveilles.
© Pochette de l'album "Anything you sow" (1985) - William aux commandes de sa navette psyché. Attention au décollage !
