Object 47

Wire

par Emmanuel Durocher le 09/07/2008

Note: 9.0    


Wire a toujours rejeté la facilité en aimant surprendre. Dès leurs débuts, ils ont viré un guitariste un peu trop porté sur les solos afin d'éviter tout superflu sonore, ce qui leur a permis d'accoucher de "Pink flag" album essentiel de 1977 qui plaçait le groupe en plein cœur de la scène punk sans vraiment lui appartenir. A l'instar des Talking Heads ou des Buzzcocks, ils aaient ce second degré arty propice à une certaine distance vis-à-vis des autres groupes (paroles, pochettes, la chanson-titre voulue comme version sur un accord de "Johnny B. Goode"). L'intégration progressive du producteur Mick Thorne comme cinquième membre officieux changea radicalement l'aspect musical à partir de "Chairs missing" (1978) et surtout "1.54" (1979), les chansons rallongent et les ambiances deviennent plus planantes grâce à l'apparition du synthétiseur – ennemi juré du punk un peu borné – et quelques expériences novatrices.

Après une interruption de cinq années dûe à des divergences personnelles et des projets parallèles, le groupe repart en 1985 à partir du quatuor initial (Colin Newman, Robert Gotobed, Bruce Gilbert, Graham Lewis) avec une dimension de plus en plus pop et électronique et une poignée d'albums plus ou moins réussis parmi lesquels on peut retenir le très beau "The ideal copy" (1987), le magistral "A bell is a cup …until it is struck" (1988) ou encore le lugubre et métronomique "First letter" (1991) – sorti sous le nom de Wir, la disparition dernière lettre évoquant ironiquement le départ de Robert Gotobed.

C'est avec le retour du batteur – Gotobed se transforme en Grey, son véritable patronyme – que Wire s'offre une troisième chance : un retour réussi à la scène moins proche de la performance artistique et "Send" en 2003 à la croisée du punk et de l'électronique qui retrouvait le goût des expérimentations. Le titre "Object 47" reprend la thématique mathématique de "154" (qui comptabilisait le nombre de concerts avant l'enregistrement de ce dernier) en indiquant que ce disque est le quarante-septième du groupe depuis sa formation : ce qui inclus albums, singles, compilations et concerts dont les mythiques lives au CBGB et son équivalent londonien le Roxy, le terrifiant et épuisant "Document and eyewitness" ou encore le majestueux et inquiétant "IBTABA".

Toujours à géométrie variable, le groupe se retrouve sous la forme d'un trio mais le départ de Bruce Gilbert n'entame en rien sa volonté dans la recherche du "Facteur X" qui se veut une fonction de l'art consistant à désorienter l'auditeur par une sorte de peur incompréhensible. Une quête qui se retrouve dans la densité texturale oppressante des trente cinq minutes du disque mais aussi dans l'incertitude de la provenance de certains sons : les guitares désaccordées se confondent avec la basse et les claviers semblent branchés sur des pédales d'effets. Wire revisite ses deux premières vies avec le même savoir-faire : "Perpex icon" et "All fours" retrouvent la vélocité du punk, les morceaux pop comme "One of us", "Mekon headman" ou "Four long years" sont irradiés par les ambiances sombres et magnifiques dont seul le groupe a le secret. Mais les trois musiciens n'ont pas oublié leur savoir-être avec le goût de la recherche et de l'inédit : "Hard currency" est une métamorphose de la musique en épreuve sportive se basant sur les sprints de guitare et l'endurance de la basse, "Patient flees" joue autant avec les nerfs qu'avec les mots qui se chevauchent et "Are you ready ?" est un exercice de danse macabre ("Are you ready to die ? to leave ?") froide et dégingandée qui évoque la déconstruction du funk de "Lowdown" amorcée sur "Pink Flag".

Wire a fait partie de ces (trop rares) groupes dont l'écoute est capable de bouleverser la vision de la musique. Plus de trente ans après leurs débuts, ni le temps, ni les séparations n'ont entamé la détermination des Britanniques à produire des disques exigeants et ambitieux – un point de vue qui n'est malheureusement pas partagé par la plupart des directeurs artistiques cupides et autres spécialistes du marketing.