Solid state survivor

Yellow Magic Orchestra

par Martin Dekeyser le 31/01/2004

Note: 10.0    

Ryuishi Sakamoto sort en 1977 dûment diplômé de l’Université nationale des beaux-arts et de la musique de Tokyo. Claviériste depuis son plus jeune âge, il s’est initié entre autres au jazz, aux musiques électroniques et ethniques, à l’orchestration et la composition. Il enregistre son premier album solo l’année suivante ("Thousand knives") puis rencontre le batteur et chanteur Yukihiro Takahashi, vedette nipponne issue du groupe de pop-progressive Sadistic Mika Band. Yellow Magic Orchestra (YMO) cherche son troisième homme : Haruomi Hosono, pionnier de la rencontre entre folk-rock US et musique traditionnelle japonaise. Le trio constitué se situe dans l’ombre du groupe pilier de l’inflexion de la musique populaire occidentale dans les années 70 : Kraftwerk.

De ceux-ci, YMO va conserver les principaux apports : la mise à l’avant plan de la machine, le caractère "pop" la volonté de provoquer des rencontres impromptues entre éléments musicaux et culturels d’origines diverses et la connotation souvent humoristique du propos. Dès les premières secondes d’écoute de la version remasterisée de "Solid state survivor", plus abouti que son prédécesseur, on rentre dans ce qui était un univers particulier à l’époque et qui à l’heure actuelle nous semble des plus familiers. Rythme métronomique, voix vocodées ou tout simplement modifiées dans un anglais bridé, mélodies sucrées et enjouées, harmonies et orchestrations chaleureuses, le tout sonnant comme une antique musique de jeu vidéo Atari.

On n’est jamais cependant très loin de l’autre face de cette électro naissante, déjà présente chez les allemands du "Trans-Europe Express". Le rouge sang qui tache n’est jamais loin des oripeaux rose bonbon. C’est que dans l’élément vertigineux pompé de l’univers pop - et les Beatles en savaient quelque chose, eux qui sont d’ailleurs repris par YMO ("Day tripper") – la chute représente autant un élan qu’un danger d’écrasement et d’éclatement. De là peut-être une nouvelle manière d’interpréter la surenchère humoristique et sucrée qui persiste encore, mais semble-t-il de manière dénaturée, dans la musique électronique. Tout ceci relevait peut-être somme toute d’une démarche cynique et deuxième degré. Ceci ne nous empêchera pas de décréter que YMO et Kraftwerk avaient vu juste bien avant tout le monde. La pop n’a jamais été aussi omnipotente, mélangée et électronique qu’aujourd’hui. La machine reste encore bien souvent l’élément majeur derrière lequel se parent les impuissances humaines. Un certain cynisme semble gagner de l’ampleur en teintant davantage chaque jour nos discours désillusionnés. L’humour vulgaire et l’intoxication sucrée ont envahi la sphère médiatique, double réflexif, prisme certes déformant de nos contemporains. Le jeu vidéo devient un art de vivre voire même une solution psycho-thérapeutique.

Lucides avant l’heure, ils se donnaient les moyens de leur posture second degré. Nous avons peut-être oublié beaucoup dans le filtre révisionniste de l’époque. Nous avons peut-être épuré à l’extrême notre discours sur ces formes d’art, étouffant de la même manière ces œuvres en tant que telles. 25 ans dans la gueule, ça vous file un de ces coups de vieux ! Pourquoi ne pas profiter de l’occasion pour réinterroger ces œuvres du passé plutôt que de sombrer à nouveau dans un jeunisme amnésique enfermé dans sa vacuité tandis que le sens abonde autour de lui ?