Recycling the future

Yvinec

par Sophie Chambon le 30/11/2002

Note: 8.0    

Si les musiques électroniques sont souvent associées à la danse pour se conformer à l’air du temps et plaire à un public cultivant la branchitude, on sera surpris par la vision originale de Daniel Yvinec, dès la pochette "land art" de son premier album. Le projet musical du contrebassiste, qui a connu divers registres, de la variété facile de Francis Cabrel au soul funk de Maceo Parker, en passant par les expériences de Ryuichi Sakamoto ou John Cale, n’incite pas à se trémousser.

Il étire le temps à l’infini, assemblant les filaments désagrégés d’une mémoire perturbée. Et pour ce faire, il associe des complices aussi talentueux que Pierre Alain Goualch, grand manitou des claviers et expert en bidouillages en tout genre, Stéphane Guillaume et Eric Seva aux saxophones, Olivier Ker Ourio à l’harmonica, dans un solo nostalgique sur "Things i thought i knew" qui constituerait le thème idéal d’un film noir. Car Yvinec est un maboule d’images et de sons, un voyageur immobile, en partance pour un ailleurs indécis, le monde floconneux des perceptions.

Ces sonorités travaillées, des effets inquiétants d’étrangeté installent un climat surréel : en écoutant par exemple "Invisible soundtrack" de 333 secondes, défilent des images à la "Eraserhead" comme dans le vieux film de David Lynch : toute une éternité, en musique d’accompagnement d’un cinéma imaginaire qui se projette dans notre tête. Riffs de guitare saturée, boucles enchaînées, trompette en écho, infrabasses, glissements vers un plaisir très progressif, cadence suggestive plutôt que rythmique forcenée ; hypnose, fantasmagorie, une électronique déjà recyclée pour notre plus grand bonheur, qui s’unit à un jazz électrique. Onze plages de sons insolites mettent en scène ce long métrage, tourné dans les décors les plus divers avec des instruments très hétéroclites.

Qu’importe les bricolages, l’album conserve en dépit de tout une unité, une dimension originale et poétique car l’auteur concocte à partir de matériaux sans intérêt apparent, un magma très personnel.