A girl called Eddy

A Girl Called Eddy

par Elhadi Bensalem le 12/05/2007

Note: 8.0    
Morceaux qui Tuent
Somebody hurt you


Qui est donc cette demoiselle au pseudonyme longuet, qui a fait sourciller de curiosité les divers acteurs de la nébuleuse pop, de Robert Smith à Burt Bacharach ? A Girl Called Eddy, Erin Moran à la ville (ne pas confondre avec la petite actrice de la série Happy Days) n'est plus vraiment une fille, pas vraiment une femme. Plutôt un mélange intéressant d'une espiègle adolescente de quarante ans qui se redécouvre et d'une femme de seize, trop mure pour son âge. Un parcours assez chaotique dans des milieux pas très éloignés de la musique (réceptionniste dans un studio new-yorkais) lui permettra, outre de rencontrer des sommités david-bowiques, de finalement en arriver à l'évidence : écrire des chansons. Le déclic se fera juste après le décès de sa mère.

Ce premier album, sorti en 2004 chez Anti-, admirable label qui a entre autre hébergé le dernier album d'Elliott Smith (R.I.P.), est passé relativement inaperçu. Il fait suite à un EP sorti en 2001 qui brillait déjà par son raffinement et comprenait outre deux chansons reprises dans ce premier LP, une reprise de "Baby plays around" d'Elvis Costello, magnifiquement interprétée. La pochette représente Eddy devant un background de gratte-ciels new-yorkais, et rappelle d'emblée ces matins glacés mais lumineux. C'est en Angleterre cependant, contrée peu réputée pour sa luminosité, que cet élégant album a été concocté, co-produit par le génial Richard Hawley, crooner anglais de son état, ex-guitariste des brit-popeux The Longpips, et occasionnellement derrière les consoles pour d'autres (son grand ami Jarvis Cocker le plus souvent). Imaginons d'abord une ferme en guise de studio, dans la banlieue pluvieuse de Sheffield. Le décor est planté.

A la première écoute, on se laisse doucement, mais sûrement, envelopper par cette voix chaude et voilée rappelant - évidence mathématique - la regrettée Karen Carpenter chanteuse du duo pop 70's, The Carpenters, mais aussi Dusty Springfield, dont l'amateur lambda de la grande chanteuse soul, reconnaîtra un clin d'œil à l'album "A girl called Dusty". Pour cette voix, les instrumentations sont comme autant d'attentions délicates. Hawley produit d'une main de chef étoilé, en compagnie de son alter ego Colin Elliott, et ses musiciens sont ici comme chez eux. Les chansons dévoilent peu à peu tous leurs parfums teintés d'une certaine langueur.

"Kathleen" d'abord, oraison sans pathos, emplie de toute la tendresse qu'une fille peut porter à sa mère. Texte poignant qu'il faudrait avoir sous la main les jours funestes. "Somebody hurt you" sonne comme un chuchotement rassurant face à l'apprêté du monde et "Did you see the moon tonight" apparaît par son texte imagé, comme la chanson universelle des amours longues distances (la lune, représentée comme le lien visible entre deux amants). Cependant certaines chansons viennent rappeler que la vie est aussi faite de mouvement, "The long goodbye" et ses très belles guitares aériennes, "Life thru the same lens", qui balance un piano tout en saccades. Bien que toutes ces chansons constituent un "premier" album, on ressent de tout son poids la lente maturation des choses. Chaque note, chaque mot a été comme pensé, pesé durant des années. Ce qui donne à ce disque son indéniable aspect précieux. Ajoutons une empreinte très personnelle sur des textes ouvertement autobiographiques. "A girl called Eddy" est en définitive le fruit désintéressé d'une femme, pardon… d'une "fille", qui a vécu, vu, pleuré, senti, aimé. Quant à nous, on ne peut qu'être charmés.