Talkie walkie

Air

par Filipe Francisco Carreira le 21/03/2004

Note: 8.0    
Morceaux qui Tuent
Venus
Run
Surfing on a rocket
Alone in Kyoto


Enregistré à Paris et produit en partie à Los Angeles sous la houlette de Nigel Godrich (Radiohead, Beck…), "Talkie walkie" constitue le dernier tome des aventures sonores du groupe français le plus populaire à l'étranger. Dans un contexte actuel particulièrement tumultueux, tant au niveau international (guerre en Irak, terrorisme) que national (chômage, Raffarin) ou local (cheveux gras, démangeaisons), le parti pris rêveur et détaché de Air peut dérouter, voire irriter. Adeptes de la conquête spatiale ("Venus"), Jean-Benoît Dunckel et Nicolas Godin s'offrent le luxe de surfer sur des fusées ("Surfing on a rocket") et de chanter l'insouciance. Cet humour décalé et cette (bonne) humeur planante font pourtant et de manière incontestable partie du charme des deux Versaillais qui essaient ici et le plus naturellement du monde de jouer une musique qui rend heureux.

L'objectif est simple mais difficile à atteindre. Car il ne s'agit pas nécessairement de faire danser mais de transmettre un sentiment de bien-être, de diffuser une onde de plaisir et de douceur sans tomber dans les travers de la musique de relaxation prisée par les instituts Yves Rocher. Dès le premier morceau, le voluptueux "Venus" et ses nappes de synthé envoûtantes, le groupe semble sur la bonne voie. Il poursuit avec "Cherry blossom girl" dans lequel une guitare acoustique égrène des arpèges hypnotiques et des chœurs féminins prolongent un rêve qui tient de la caresse : Air a peut être enregistré son disque le plus sensuel à ce jour, à la fois tendrement charnel et délicieusement irréel. L'impression de flotter dans les airs, de voler au-dessus des villes en furie, de deviner la cacophonie des routes embouteillées et des cadres pressés ("Universal traveler") le dispute à celle de nager en apnée. Aussi à l'aise dans les airs et dans l'espace que sous l'eau, Air compose la bande-son d'une rencontre furtive entre l'équipage de "Cosmos 1999" et "L'homme de l'Atlantide" - "Run". Nul ne sait si Patrick Duffy réussit à se faire de nouveaux amis mais il est réjouissant de voir ceux qui, sur le glacial "10 000 hz legend", restaient cloîtrés dans leur navette en descendre et participer aux débats, marcher le long de la Mer de la Tranquillité et fumer la pipe.

Avec sa mélodie imparable, "Surfing on a rocket" confirme le caractère ludique de "Talkie walkie" ainsi que le talent pop d'un duo qui voit plus loin que le bout de son électro. Au point de parfois s'égarer : avec ses sifflements ou ce qui y ressemble, "Alpha beta gaga" rappelle le thème composé par Ennio Morricone pour "Mon nom est personne" sans retrouver la magie de "Ce matin-là" qui, dans un registre comparable, égayait "Moon safari". Le scientifique "Biological" peine à susciter davantage qu'un ennui poli... Par bonheur, "Talkie walkie" est d'une telle homogénéité que même les titres les plus faibles s'y intègrent aisément. Et lorsque Air renoue avec l'excellence, il nous emmène dans les jardins zen du Japon : (par)fait pour la bande originale de "Lost in translation", "Alone in Kyoto", distille une atmosphère contemplative et bienveillante, faite de bruissements et de murmures. Et si le groupe baptise un instrumental "Mike Mills", c'est en hommage, non au bassiste de R.E.M. mais à son ancien graphiste et alter ego visuel. Lequel a dû particulièrement apprécier les affiches qui, il y a quelques semaines, recouvraient le métro parisien et montraient les deux membres de Air posant avec une classe inouïe et leurs talkies-walkies d'un autre âge.

Au-delà de cette esthétique rétro-futuriste parfaitement maîtrisée, il y a surtout une authentique quête d'absolu de la part d'un groupe qui se remet en question à chaque nouvel album et court après de nouvelles expériences. Daft Punk a déçu dès le deuxième album, Dimitri from Paris, Cassius et Bob Sinclar brillent - brillaient ? - surtout par leurs clips. En conclusion, Air, c'est un peu tout ce qu'il reste de la "French touch".