Live in Anvers 2004

Alex Chilton

par Jérôme Florio le 27/09/2004

Note: 9.0    

Il est des soirs où la magie s'invite par surprise, alors que personne ne l'attend. Un groupe engagé sur place, une seule répétition avant le concert (c'est toujours mieux que Chuck Berry, qui lui n'avait jamais vu les musiciens avant de monter sur scène) : cela avait tout l'air du concert de plus pour Alex Chilton, la routine, lui qui est si peu productif depuis la fin des années 70. Mais voilà, le groupe sonne bien et carré, Chilton grogne de plaisir, le public est embarqué, et c'est cinquante ans de rock'n roll qui défilent sous nos yeux sans se laisser attraper.

Alex Chilton est né à Memphis en 1946, idéalement placé pour vivre l'explosion rock de l'intérieur (Elvis Presley, natif de la même ville, explose en 1955) : d'abord au sein des Box Tops dans les mid-sixties, puis leader de Big Star, et enfin dans une carrière solo erratique, qui à défaut de succès public lui a valu un statut "culte". Cité et repris par nombre d'artistes, des Posies aux Replacements jusqu'à Jeff Buckley ("Kanga-Roo"), Chilton publie depuis le début des années 90 des disques qui alternent quelques compositions originales et nombreuses reprises. Cette approche trouve sa plus claire expression dans ce récent disque live, où l'humeur déglinguée et psychobilly du single "Bangkok" (1978, l'époque à laquelle il produisait les premiers titres des Cramps) semble être un mauvais souvenir.

Quand il léguera son corps à la science, on trouvera un juke-box en lieu et place du cerveau d'Alex Chilton : entre chaque morceau, on jurerait entendre le bras mécanique se saisir d'une des innombrables galettes de vinyle de ces années 50 et 60 qu'il affectionne particulièrement. Ne croyez pas pour autant être en présence d'un antiquaire qui joue un rock à papa rétrograde, c'est au contraire un rafraîchissant bain de jouvence qui immerge dans un répertoire que plus personne n'interprète. Galvanisé par son groupe belge, Chilton retrouve sa voix brouillée aux accents parfois juvéniles, prend la plus grande partie des solos avec une énergie communicative et chargée de nostalgie (les instrumentaux "Sonata, grave" et "Sick and tired", "Autumn in New York"). Au passage, on se dit qu'il est un guitariste assez sous-estimé, au son très reconnaissable. Seuls deux titres portant sa signature répondent à l'appel ("In the streets" de Big Star et "Bangkok"), anonymes au milieu d'improbables rock'n roll ("Ah ti ta ti ta ta"), rythmn' blues ("634-5789" de Steve Cropper et Eddie Floyd, chanté par Otis Redding, Tina Turner), et de twists variétoches italiens pour lesquels Chilton a une tendresse inexplicable ("Il ribelle" d'Adriano Celentano). Paresse ou humilité ? On penche pour la deuxième option : Alex Chilton paye son tribut à des artistes pour certains oubliés, auxquels il s'identifie sans doute, mais c'est aussi une façon de s'insérer dans cette histoire à la fois comme témoin et comme passeur, de prendre place sur le piédestal.

Avec ce "Live in Anvers 2004", on aperçoit fugitivement dans le rétroviseur de la décapotable un peu du feeling qui flottait à l'époque où Alex Chilton était adolescent, et que notre génération ne peut connaître que grâce aux livres d'histoire – euh, pardon, les vieux numéros de Rock'n Folk.