Le coq et la pendule

André Ceccarelli

par Sophie Chambon le 05/11/2009

Note: 9.0    

Un hommage à Nougaro, il faut être sacrément gonflé pour seulement y songer, tant ce génial chanteur, exceptionnel troubadour (qui aurait eu 80 ans en septembre), a marqué la chanson française des quarante dernières années. Un "artisan" de la variété, un "motsicien" comme il se proclamait avec sa truculence et son phrasé impayable, détachant et projetant ses syllabes, vivantes comme des éclats, rimailleur inspiré, jongleur des rythmes, fou de jazz, mais nourri au bel canto, proche de la java et de toutes les musiques populaires. Lui savait swinguer, comme nul autre. Un héritier de Trenet à sa manière. Tous ses titres sont devenus des tubes au fil des ans et les "puristes", ces puritains du jazz, ne se risquent plus à faire la fine bouche à présent.

Je me souviens du 45 tours Philips de la discothèque familiale : Nougaro, à sa table de bureau, clope au bec, dessine un portrait de femme : il chante "Une petite fille", "Le cinéma", "Le jazz et la java" (d'après un thème de Joseph  Haydn) et "Les Don Juan" (de Michel Legrand), autant de petites histoires rondement menées, éclaboussées d'action et de swing. Il est toujours en rythme quand il titube comme un taureau ivre sur l'arène du music hall, au théâtre Toursky de Marseille, l'antre de  Richard Martin, dont l'idole est Ferré. C’est bien plus tard, en 1980, sur le  33 tours "Assez" qu’apparaît "Le coq et la pendule". Un coup d'œil sur les musiciens qui l'accompagnaient vaut mieux que toutes les déclarations : de vrais jazzmen, le bassiste Luigi Trussardi, le batteur Charles Bellonzi, le formidable pianiste et compositeur Maurice Vander et Richard Galliano, que je découvre alors, au… trombone, compositeur du titre "Des voiliers", déjà un de ses merveilleux tangos qu'il accompagne divinement à l'accordéon électronique.

Reprendre quelques uns des grands succès de Nougaro était donc délicat, mais le batteur André Ceccarelli était l'un des plus capables de relever ce défi : "Dédé" a connu au cours de sa longue carrière les mêmes scènes, suivi les mêmes tournées que Nougaro - qu'il a d'ailleurs accompagné. Ceccarelli c’est une double carrière de "requin de studio" (accompagnant les grands noms du  "show biz") et de musicien restant fondamentalement attaché au jazz (ce que rappelle le Dvd ici joint à l'album, d’un "Drum summit" à Toulouse). André Cecarelli s'est entouré de musiciens qui savent recréer avec talent, simplicité et finesse l'univers du poète toulousain. Le contrebassiste Diego Imbert qui a réalisé la mastérisation est le deuxième as de cette paire rythmique. Écoutez-le dès l'ouverture de "le Coq et la Pendule" ou sur "l'île Hélène", dernier titre et véritable petit bijou. On se réjouit de retrouver le pianiste Pierre Alain Goualch dont on connaît l'amour de la (belle) chanson française (on se souvient de certaines de ces versions de Gainsbourg). Il est parfait lui aussi, sincère et juste, sensible et fringant. Il a compris et interprété au plus juste cette musique. Il joue avec enthousiasme et nous promène sur la gamme des sentiments, de l'émoi à la connivence, de l'embrasement à la tendresse : "Cécile", "Je suis sous", "La pluie fait des claquettes", la version (vraiment) jazz de "Nougayork", comptent parmi les réussites de l'album.

C'est le choix de l'interprète qui restait évidemment le plus délicat. Si nous aimons et suivons David Linx depuis longtemps, il nous apparaissait très éloigné de l'univers de Nougaro. Et pourtant ce choix s'avère le bon : il ne met jamais ses pas dans les pas du "maître". Preuve de son intelligence musicale, certaines chansons sont impossibles à recréer après lui. Comment choisir et que choisir dans ce vaste répertoire sans tomber dans le piège ? Linx reprend certaines chansons incontournables, "Dansez sur moi", "Une petite fille en pleurs", sobrement et à sa manière, en déplaçant certaines intonations. Mais on préfère "Tendre", on applaudit à "Mademoiselle Maman", "The meeting place of waters" qu'il a réussi à "s’approprier, tout comme l'émouvant "Il faut tourner la page". C'était pourtant l'une de nos chansons préférées de l'album "Nougayork" qui marquait, après une traversée du désert, le retour en grâce de Nougaro, en 1989, et le consacrait définitivement auprès des jeunes, par sa rythmique funky.

Paradoxalement, David Linx réussit le mieux quand il nous fait oublier Claude Nougaro : les mots du Toulousain semblent alors avoir été écrits pour et par lui. C'est cela comprendre, et savoir "reprendre" une chanson. Sa voix, car il est bien le quatrième musicien du groupe, instrumentiste à part entière, est tendre et posée, il n'en fait jamais trop, évitant lyrisme, verve et frénésie qui ne passeraient pas après Nougaro.
Cette humilité servie par sa belle voix, sensuelle et parfaitement placée, contribue à faire de cet album un juste  hommage. Sans emphase ni nostalgie. De musiciens de jazz à un poète qui connaissait cette musique. Et puis, avec Linx, Nord et Sud sont enfin réunis, la Flandre rejoint la Gascogne, et Nougaro garde son Toulouse, la ville "rose" qui fut pourtant, disait-il, surtout "rosse" avec lui. Bravo l'artiste !