En 2012, Andre Williams, 76 ans,
sortait peut-être un des meilleurs albums de sa carrière. Sobrement
intitulé "Life", il passa cependant plus ou moins inaperçu. A
croire que les critiques du monde entier s'étaient passés le mot
pour bouder négligemment la prestation. Certains se sont plaint de
la qualité de l'enregistrement, où apparaîtraient de-ci de-là des
bip bip et autres bruits parasites. D'autres ont dit que son chant
était poussif, sa voix au bout du rouleau. Certes, Andre est un peu
fatigué. Après avoir gravé des tubes rock'n'roll mâtinés de
doo-wop à l'arrière d'un salon de coiffure dans les 50's, après
avoir composé des morceaux pour Stevie Wonder à la Motown dans les
60's, produit des disques pour Ike et Tina dans les 70's, fini sous
un pont dans les 80's et être remonté sur scène en première
partie de Jon Spencer quelques années plus tard, sa voix de velours
en a pris un coup, c'est sûr. Mais, pour notre plus grand bonheur,
Andre Williams est toujours là, beau comme le loup de Tex Avery lors
d'une violente chute d'audimat.
Enregistré à Detroit, la ville où
Williams débuta sa carrière, "Life" démarre par le magnifique
"Stuck in the middle", un puissant tube soul
psyché sur les affres de la passion conjugale. Il poursuit avec
"But'n", un morceau teigneux, répétitif, puis vient le tour de
"Blame it on Obama", dans lequel le chanteur déroule lentement
son commentaire politique, mi-acerbe mi-désabusé, au rythme d'une
batterie digne d'un mauvais groupe de balloche, au son pourri
inoubliable, idéal pour marteler le message. And last but not least,
la face A se clôt sur le fantastique "Heels", délire nocturne
doucement fétichiste, emporté par un riff lancinant et des choeurs féminins suggérant l'orgasme plus ou moins imminent.
A peine le temps de s'en remettre et la
face B enchaîne sur une déclaration d'amour ("It's only you that
I love"), avant d'envoyer "Don't kick my dog", un titre qui
renoue avec le style sleaze rock que Williams a savamment pratiqué
sur ses albums passés. "Money ain't got no loyalty" est un
reggae étrange et poisseux, où la voix d'Andre n'est pas sans
rappeler le Gainsbourg décadent dernière période ; "Ty the fly"
un conte pour enfants, une sorte de fable de La Fontaine à laquelle
un blues joué pizzicato sert d'illustration sonore. Et, surprise, le
disque se termine par la reprise de "Shake a tail feather",
salve rock'n'roll composée par Williams pour les Five Du-Tones en
1963 et qui, si on se fie à sa propre autobiographie, a compté
depuis cette date pas moins de quarante reprises* diverses et
variées.
Le disque qu'Iggy Pop rêve de faire
depuis dix ans, Andre l'a sorti l'année dernière. Pour un vétéran,
c'est la claque. Ni plus ni moins.
* En ce qui concerne "Shake a tail
feather", qui fut un des plus gros hits de Williams, la question
des droits d'auteur a fait l'objet d'une longue bataille juridique et
Dédé, bien que tardivement, a fini par l'emporter. Cette victoire
lui a enfin donné le droit de toucher les royalties qui lui
permettront d'assurer ses vieux jours. Quant aux avocats d'Universal,
ils ont pu rentrer au chenil.
ANDRE WILLIAMS Blame it on Obama (clip officiel)