I mean you - Tribute to Thelonius Monk

Antoine Hervé

par Sophie Chambon le 01/08/2010

Note: 9.0    

Tout est déjà dit dans les excellentes notes de pochette du livret, de qualité, sobre et complet !

Son auteur Franck Bergerot (rédacteur de Jazz magazine) se livre à une analyse musicologique en règle et éclaire les raisons du choix de Monk par le pianiste Antoine Hervé. Que veut dire et comment écouter Monk aujourd’hui ? â€¨Si le piano se prête plus facilement à l’exercice délicat du solo, avec un musicien de l’envergure d’Antoine Hervé, le risque est mesuré. Entre le risque de la solitude, et la liberté que l’instrumentiste s’accorde, se glisse une pléiade de choix parfaitement assumés. Le fait par contre de s’attaquer à un des géants de l’instrument, de vouloir rejouer le répertoire de T.S. Monk laisse davantage songeur. Comment rendre autrement, comment s’approprier (un peu) ces fameux thèmes que Monk a mis tant de temps à peaufiner, à polir jusqu’à les rendre brillants comme des sous neufs ? Une musique de "sphère" un rien paradoxale, puisque construite à partir d’un langage qui privilégiait brisure et discontinuité, quand ce n’est pas retrait ou ellipse.

Enthousiaste à l’idée de franchir cette passe dangereuse, de déjouer l’écueil d’un répertoire inégalé et tellement repris par ailleurs, le surdoué Antoine Hervé s’attaque avec appétit à cette musique qu’il va déstructurer à son tour.

Fluidité, énergie, développement créatif, improvisations, citations, tours et détours, repentirs deviennent ses priorités. Sensibilité, émotion et intelligence de la musique composent cet album enregistré "live" dans le cadre d’une opération intitulée "Un marathon de New York", en 1997, à la Cité de la Musique à Paris. Sur les neuf pièces, sept sont de Monk, des mélodies devenues standards qu’il va accommoder à son rythme.

Antoine Hervé a étudié brillamment le piano classique, il s’est lancé ensuite éperdument dans le jazz, il sait donc faire sonner son instrument de toutes les manières : on passe ainsi de formules classiquement mélodiques, presque concertistes dans le premier thème, l’incontournable "Monk’s mood", où il laisse libre cours à son imaginaire romantique, à un phrasé résolument percussif et swingant à la façon monkienne, c’est-à-dire déséquilibré, bancal sur "Think of one".

Dansante (ce grand ours aux pattes gauches, titubant sur le clavier, savait si bien se balancer), cette musique restitue la construction dont elle dérive. Elle impose une clarté très française, alors que le sens est marqué par le mystère plus que par l’évidence. Dans cette façon de réconcilier les contraires, Antoine Hervé est convainquant, touchant même.

Singulier pluriel, le piano exulte et n’a jamais mieux résonné. Une invitation d’un piano raisonné pour illustrer la musique brillante d’un fou génial.