Tout
est déjà dit dans les excellentes notes de pochette du livret, de
qualité, sobre et complet !
Son
auteur Franck Bergerot (rédacteur de Jazz magazine) se livre à une
analyse musicologique en règle et éclaire les raisons du choix de
Monk par le pianiste Antoine Hervé. Que veut dire et comment
écouter Monk aujourd’hui ? 
Si
le piano se prête plus facilement à l’exercice délicat du solo,
avec un musicien de l’envergure d’Antoine Hervé, le risque est
mesuré. Entre le risque de la solitude, et la liberté que
l’instrumentiste s’accorde, se glisse une pléiade de choix
parfaitement assumés. Le fait par contre de s’attaquer à un des
géants de l’instrument, de vouloir rejouer le répertoire de T.S.
Monk laisse davantage songeur. Comment rendre autrement, comment
s’approprier (un peu) ces fameux thèmes que Monk a mis tant de
temps à peaufiner, à polir jusqu’à les rendre brillants comme
des sous neufs ? Une musique de "sphère" un rien
paradoxale, puisque construite à partir d’un langage qui
privilégiait brisure et discontinuité, quand ce n’est pas retrait
ou ellipse.
Enthousiaste
à l’idée de franchir cette passe dangereuse, de déjouer l’écueil
d’un répertoire inégalé et tellement repris par ailleurs, le
surdoué Antoine Hervé s’attaque avec appétit à cette musique
qu’il va déstructurer à son tour.
Fluidité,
énergie, développement créatif, improvisations, citations, tours
et détours, repentirs deviennent ses priorités. Sensibilité,
émotion et intelligence de la musique composent cet album enregistré
"live" dans le cadre d’une opération intitulée "Un
marathon de New York", en 1997, à la Cité de la Musique à
Paris. Sur les neuf pièces, sept sont de Monk, des mélodies
devenues standards qu’il va accommoder à son rythme.
Antoine
Hervé a étudié brillamment le piano classique, il s’est lancé
ensuite éperdument dans le jazz, il sait donc faire sonner son
instrument de toutes les manières : on passe ainsi de formules
classiquement mélodiques, presque concertistes dans le premier
thème, l’incontournable "Monk’s mood", où il laisse
libre cours à son imaginaire romantique, à un phrasé résolument
percussif et swingant à la façon monkienne, c’est-à-dire
déséquilibré, bancal sur "Think of one".
Dansante
(ce grand ours aux pattes gauches, titubant sur le clavier, savait si
bien se balancer), cette musique restitue la construction dont elle
dérive. Elle impose une clarté très française, alors que le sens
est marqué par le mystère plus que par l’évidence. Dans cette
façon de réconcilier les contraires, Antoine Hervé est
convainquant, touchant même.
Singulier
pluriel, le piano exulte et n’a jamais mieux résonné. Une
invitation d’un piano raisonné pour illustrer la musique brillante
d’un fou génial.