Récifs (avec Jean-Luc Cappozzo)

Bernard Santacruz, Christine Wodrascka, Philippe Deschepper

par Sophie Chambon le 09/11/2009

Note: 8.0    

Infatigables acteurs de la scène des musiques actuelles, Bernard Santacruz, Christine Wodrascka, Philippe Deschepper se livrent toujours à des expérimentations sur les textures et les sons, à une exploration très personnelle de la musique d’improvisation. Le résultat est à écouter sur le petit label indépendant courageux et volontaire de l’Ajmiseries : une série de courtes pièces, vives, subtiles servant de base à des improvisations plus longues, colorées ("Roc et sable"), délicatement impressionnistes ("Un défilé bleu").
Suivons les investigations de ces musiciens de métier, constamment à l’ouvrage, absolument solidaires qui se cherchent, se répondent par solos interposés, en conversations subtiles et souvent humoristiques, en  échanges sans le moindre cliché. 

Entièrement composé sur le vif, cet album ne se présente pas comme une navigation au long cours, périlleuse, mais nous réconcilie (si besoin était) avec la complexité des sons et rythmes libres : une configuration souple, ouverte, sans batterie, nous soulage d’une tension constante, d’un pilonnement continu. S’introduit alors une dimension plus insolite et mélancolique parfois. Aucune violence si ce n’est celle douce, plus mystérieuse de la pianiste ou du guitariste au son rauque, immédiatement reconnaissable, alors que les traits élégants de la basse réchauffent. Les instruments font entendre leurs vocalises, et aussi parfois leur stridences : traversé de fulgurances souvent dues à l’invité ami, le trompettiste Jean Luc Cappozzo, toujours présent pour l’aventure de l’improvisation, l’album fait entendre un chant mélodique profond, libéré et finalement heureux.

Aucune règle ne détermine ce qui se produit là si ce n’est la complicité alliée au travail le plus sérieux, exigeant : ce "Récifs" est baigné d’une poésie lunaire, intimiste et se déguste pour peu qu’on prenne le loisir de se laisser aller à autre chose qu’à la précipitation. Loin de tout académisme, le quartet se nourrit de musiques glanées dans un espace ouvert aux quatre vents, où s’entend la quintessence du souffle, où les frottements, chuchotements et autres bruissements remplacent souvent l’expression habituelle de chaque instrument. On se laisse bien volontiers entraîner par cette déferlante sans brisants de près de cinquante minutes. A écouter d’un trait, presque goulûment.