Blind Faith (Deluxe Edition)

Blind Faith

par Francois Branchon le 16/11/2001

Note: 10.0    
Morceaux qui Tuent
Can't find my way home (version électrique)
Had to cry today


Blind Faith ou le prototype. Fin 1968, deux groupes rock phares disparaissent du paysage anglais, Cream (laissant des fans incrédules et dépités) et Traffic première mouture. Des splits brutaux mais prévisibles, car après les deux années 1967 et 1968 d'incroyable puissance créative et d'aura médiatique, bien des 'groupes' mutent vers des 'additions d'egos', les media parfois n'y allant pas avec le dos de la cuillère, Eric Clapton des Cream n'est-il pas surnommé "God" !!.

Cream et Traffic sont tous deux nés à la fin 1966, ont chacun vécu à un rythme effréné (trois albums en deux ans, grandes tournées européennes comme américaines) c'est donc en choeur qu'ils explosent en vol. Additionnant Eric Clapton et Ginger Baker (guitariste et batteur des premiers), Stevie Winwood (organiste, compositeur et avant tout LA voix du second) et un peu plus tard Rick Grech (bassiste de Family), Blind Faith est le premier de ces 'super groupes' anglais, somme d'individualités à fort caractère (le phénomène est similaire aux Etats-Unis quand Crosby, Stills & Nash émerge d'autres décombres). Pour Blind Faith tout va aller beaucoup trop vite : cent mille personnes pour leur premier concert en juin 1969 à Hyde Park, un million de copies vendues pour l'album qui sort en août, une tournée américaine infernale dans la foulée... Too much, too soon... Le premier prototype des 'super-groupes' se désintègre à la fin 69 (Clapton lance sa carrière solo et Winwood reforme Traffic, un cocon nettement plus douillet).

Rétrospectivement c'est un beau gâchis, car diable que la musique était belle, prometteuse, tant les deux 'têtes' Clapton et Winwood avaient su mêler avec beaucoup de finesse leurs différences, Clapton porté vers un blues blanc coloré pop, ouvertement psychédélique, Winwood dans un registre plus feutré, rhythm and blues, plus voilé et si charmeur! L'album vinyle d'origine (à pochette interdite en France) comportait six morceaux, tous produits par Jimmy Miller (l'homme derrière Traffic et les bons Rolling Stones), six seulement dira-t-on à postériori. Et il aura fallu attendre trente-deux ans (32 !) pour découvrir le reste de ces sessions du printemps 1969. Cette réédition de la collection "Deluxe edition" ajoute la bagatelle de neuf morceaux dont cinq jams d'un quart d'heure chacune.

Comme originellement, l'album débute par les neuf minutes de "Had to cry today", composition de Stevie Winwood "à la manière" Cream (le morceau pourrait sortir de "Disraeli gears"), dominé par sa voix incroyable d'envergure, caréné par la guitare de Clapton (rythmique de riffs répétitifs et solo lumineux et coloré), se termine dans un simili fouillis qui amène à merveille l'acoustique "Can't find my way home" (également de Winwood). La reprise de "Well all right" de Buddy Holly sonne Traffic, rock'n'roll en costume velours cosy. "Presence of the Lord" est la seule composition de Clapton. Facilement emphatique, elle annonce les futurs Derek and The Dominos, avec un son où l'orgue domine souvent (Winwood ici, Bobby Whitlock dans les Dominos). "Sea of joy" (de Winwood) démarre avec l'allégresse champêtre des meilleurs Traffic (au hasard "Paper sun") et grimpe vers un magma où les cinq (Rick Grech est aussi au violon) se superposent sans se marcher sur les pieds. "Do what you like" (de Ginger Baker) enfin, était le morceau final du vinyle. Longue suite de quinze minutes, bâtie sur une trame rythmique faite pour durer des heures (genre "Who do you love" de Bo Diddley ou "Willie and the hand jive" de Johnny Otis) c'est l'auberge espagnole de toutes les envolées solo, d'orgue, de basse, de batterie et évidemment de guitare, Clapton y revenant à trois fois. On pense à Sweet Smoke, au Quicksilver de "Happy trails", à Man. Les Cream s'étaient déjà laissés aller à des morceaux longs ("Spoonful" ou "Toad" sur "Wheels of fire") mais "Do what you like" lui tient la distance, jamais ennuyeux - à part le solo de batterie - avec un Winwood joyeux comme un gamin à l'orgue et au chant.

Toute la suite est inédite, deux reprises du blues de Sam Myers "Sleeping in the ground" prouve une fois de plus que certaines voix blanches (Eric Burdon, Nino Ferrer, Stevie Winwood) sont bien mâchurées de noir. La version électrique de "Can't find my way home" (morceau 2) est renversante, la guitare miraculeuse de finesse et de délié, parfait écho à la voix de Winwood (et on nous cache ça depuis plus de trente ans !). Mais du bon est encore à venir, avec "Acoustic jam", la première (et meilleure) des cinq improvisations. Il est difficile d'attendre d'une 'jam', exercice par définition sans construction, autre chose qu'une idée par-ci par-là, à moins de musiciens en parfaite communion. Ils sont ici en "télépathie avancée" (trip ?), Winwood au piano (pas de chant) la domine de bout en bout, imposant à Ginger Baker une seule présence métronomique à la cymbale (charleston) et à Clapton une seule guitare acoustique nylon aux petits solos nerveux. Rondement soutenue par la basse, cette jam-plaisir de seize minutes, rappelle les longues épopées acoustiques de John Mayall avec Jon Mark et Johnny Almond. Le deuxième Cd est constitué de quatre autres 'jams' de studio, à trois, avant l'arrivée de Rick Grech, toutes datées du même jour (devaient pas avoir envie de bosser ce jour-là) La première "Very long and good jam" montre un Clapton électrique et dominateur, un Baker sur tous ses fûts et un Winwood à l'orgue ou à la basse, un son très 'compact' donnant au morceau un petit air de 'Cream revival', finalement assez daté. La deuxième "Slow jam #1" utilise une trame rythmique proche de "Roadhouse blues" des Doors mais pédale dans le pudding et ne décolle jamais. La troisième "Change of address jam" vaut pour l'orgue Hammond dont Winwood met à l'air toutes les entrailles et la dernière, "Slow jam #2", avec une rythmique orgue/batterie 'a minima' se contente de laisser la guitare discrètement broder. Bref, un deuxième Cd dispensable, ce dont on se fout puisque le premier est un joyau.

Très belle présentation, livret complet avec iconographie inédite (l'ensemble des sessions photos de l'album). Bravo Universal Londres pour ce boulot (pour une fois qu'une major se bouge le cul, saluons).