Coniunctio

Blue Effect & Jazz Q Praha

par Hanson le 13/04/2006

Note: 9.0     
Morceaux qui Tuent
Coniunctio II
Coniunctio I


Si l’histoire a retenu du Printemps de Prague un recadrage du régime avec l’entrée des chars soviétiques en Tchécoslovaquie, une étude minutieuse de la décennie qui a suivi montre qu’un vent d’émancipation intellectuelle a néanmoins soufflé sur une partie de l’Europe de l’Est. Alors que le label d’état Supraphon enregistrait dans ses studios quelques talents du jazz américain et européen, il s’efforçait parallèlement de promouvoir tout azimut les artistes locaux. Il est dès lors indéniable que les musiciens américains de passage à Prague ont apporté avec eux les idées en vogue dans leur pays, idées auxquelles les Tchécoslovaques ont proposé des alternatives originales et peu explorées à l’Ouest. La mouvance de bon nombre de ces artistes occidentaux s’orientait alors vers une tentative d’inclusion du rock dans un format se revendiquant toujours du jazz mais finalement devenu lâche par les excès perpétrés. C’est en prenant ainsi appuie sur ces innovations que de nouvelles idées ont germé à l’Est.

Au cours d’une unique session d’enregistrements, les groupes Blue Effect et Jazz Q Praha ont apporté leur pierre à l’édifice en réalisant ensemble une jonction entre le rock expérimental et le free jazz, suggérant immanquablement l’idée de jazz-rock, mais dans un sens très différent de celui habituellement employé. Dans le cas présent, deux groupes aux origines et aux compétences bien distinctes réalisent conjointement cette tâche. La principale composition, Coniunctio, est construite autour d’un enchevêtrement de phases successives, se déployant sur 20 minutes, où alternent expression collective et jeu centré sur une seule formation. Les phases de cohabitation sont peut-être les plus surprenantes : Le disque s’ouvre sur un maelström de bruit d’où jaillissent des sons dont la provenance semble bien difficile à identifier, notamment par la présence d’effets percussifs en tout point comparables à ceux d’un marteau-piqueur. Les musiciens de Blue Effect assoient ensuite une rythmique rock massive pour être alors accompagné par des solos de saxophone cacophoniques, stylistiquement semblables aux enregistrements les plus fougueux d’Archie Shepp, avant que l’ensemble ne s’effondre à nouveau. La dualité entre le free jazz et le rock expérimental électrifié catalyse les deux aspects rendant la composition particulièrement dense. En jouant ensuite intégralement seul, le Jazz Q Praha change l’orientation musicale en créant des tensions reposant sur les dissonances du piano et les stridences de l’archet sur la contrebasse. Ces tensions se résolvent enfin par l’entrée des instruments électriques qui impose un dialogue collectif final emmené par une flûte traversière et respectant les harmonies traditionnelles. Le morceau étant en perpétuelle évolution, la justesse des transitions effectuées alternativement par les différents musiciens assure la conciliation des deux formations dans un tout hétérogène.

Le disque poursuit sur un morceau de free jazz et deux excellents titres rock, dominés par le flûtiste Ji_í Stivín et le guitariste Radim Hladík, s’apparentant ainsi plus aux jam bands européen des années 70 qu’aux recherches sonores de Coniunctio. Le groove entraînant de la section rythmique, les interactions entre la flûte, l’orgue et la guitare, et pour finir l’intrusion d’un saxophone renouent avec les attentes d’un public amateur de performances endiablées. On comprend dès lors pourquoi certains DJ’s vont chercher leurs samples dans les premiers disques de Blue Effect.

Un tel disque ne se prédestine pas à un public facilement identifiable. La forte infusion de free jazz peut décourager les amateurs de rock les plus aventureux. De même l’électrification quasi omniprésente du son peut désenchanter les puristes du jazz. Néanmoins, l’originalité de l’idée mise en oeuvre ici range ce disque parmi les enregistrements singuliers touchant transversalement aux deux genres susnommés. Ce disque pointe finalement du doigt le fait que le rock expérimental et le free jazz ont une esthétique commune qui part plus d’un désir d’exploration de territoires musicaux vierges que du respect des règles pré-établies.


Eléments de discographie sélective
Blue Effect & Jazz Q Praha – Coniunctio (Supraphon, 1970)
Modry Efekt & Jazzov_ Orchestr _eského Rozhlasu - Nová Syntéza (Panton, 1971)
M. Efekt & Jazzov_ Orchestr _eského Rozhlasu - Nová Syntéza 2 (Panton, 1974)