Music / Fantasy

Carole King

par Jérôme Florio le 05/05/2003

Note: 8.0    

Sorti dans la foulée de "Tapestry", son grand succès de 1971, "Music" se classe également n°1 dans les charts. Carole King y déroule son écriture confortable, ouvre les portes de sa maison désormais familière et nous invite à entrer dans son intérieur cosy, dans lequel on se sent de suite à l'aise. Sur la pochette, un chien remplace le chat de "Tapestry", mais à part cela peu de changements - James Taylor est encore de la partie, Lou Adler à la production. C'est dans l'ensemble un disque plutôt lent, à la limite du consensus mou (le jazz impersonnel de "Music"). Des percussions légères soutiennent la majorité des titres (motif rythmique présent depuis "Tapestry" et qu'elle utilisera de nouveau sur "Rhymes & reasons"). On trouve de manière plus exacerbée qu'auparavant des valeurs récurrentes chez King, des grands sentiments : la terre, l'espace entre les gens, l'amour et l'amitié qui aident à traverser les épreuves ("Growing away from me", "Too much rain"). La veine un peu gluante de "Carry your load" est allégée par des cuivres discrets, lesquels, plus en avant sur "It's going to take some time", rappellent Chicago et leur tube "If you leave me now". Des chœurs sucrés donnent un supplément d'âme à "Surely" et "Some kind of wonderful", balade simplissime au texte interchangeable qui flotte béatement sur un petit nuage rose. "Sweet seasons" est un morceau pop et accrocheur ; "Back to California", au feeling plus rock'n'roll, exalte le retour aux racines, la certitude que l'on est jamais mieux que chez soi, à la maison, ce qui peut paraître un peu réac et frileux.
Après les routiniers "Music" et "Rhymes & reasons", on n'attendait plus de Carole King qu'elle renouvelle son langage musical. Or dès "Fantasy beginning", on est agréablement surpris par l'ampleur, la texture soyeuse du son, faite d'arpèges de piano entremêlés avec des à-plats profonds et cinématographiques de cordes. "Fantasy" a presque l'apparence d'un concept-album, qui se voudrait une échappée rêveuse et onirique hors de la morne réalité (et parfois moche comme la pochette). "You've been around" confirme que Carole King délaisse son habillage musical ultrarodé pour se concentrer sur une seule veine : cuivres, percussions, wah-wah et les superbes guirlandes de guitare de David Walker (comparable au travail de Bob Kulick sur "Coney Island Baby" de Lou Reed) la plongent dans la luxueuse soul seventies de Curtis Mayfield. Si la façon d'écrire de King reste inchangée, elle se pare de davantage de rythme ("Directions") et de nouvelles couleurs : on passe de l'automne de "Music" au printemps. C'est l'éclosion du son : un groove rond, des chœurs satinés donnent l'impression de renouvellement. Sur sa première moitié, le disque est un exercice réussi de soul plastique et classieuse, mené avec une calme assurance. L'autre partie est plus faible : "A quiet place to live" reprend les thèmes du travail, de la tranquillité, du foyer. "Corazon" est une chanson en espagnol avec un texte au minimum syndical ("Yo te quiero mi corazon", voilà j'ai recopié le livret) et une musique assez cliché. Enfin, "Believe in humanity" (proche de "Superstition" de Stevie Wonder) appartient à la bonne veine groovy du disque. Comme chez Bowie où on peut préférer la soul artificielle de "Young americans" à "Ziggy Stardust" (c'est mon cas), on peut aussi penser que "Fantasy" a bien mieux vieilli que "Music".