Texas Rose, the thaw & the beasts

Castanets

par Jérôme Florio le 10/09/2009

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Rose
Dance dance
Down the line, love
My heart


Raymond Raposa est un voyageur. Après avoir quitté l'école assez tôt (à l'âge de 15 ans), il a sillonné les Etats-Unis pendant plusieurs années : la carte sonore qu'il nous en dessine depuis "Cathedral" (déjà chez Asthmatic Kitty, 2004) ne ressemble à aucune autre. "Texas Rose, the thaw and the beasts", avec son titre en forme de western spaghetti, est une passionnante plongée dans un univers aussi étouffant que libre comme l'air.

Dès que l'on entend la voix abîmée de Raymond Raposa, proche de celle de Kurt Wagner (Lambchop), on pourrait s'attendre à un disque de désespoir collant. Pas du tout : la musique des Castanets respire de partout, et transpire un blues étrange, diffus, qui ne se laisse jamais attraper. "Texas Rose..." a été réalisé avec des amis musiciens venus d'horizons divers (Rocket from the Crypt, Bauhaus, Pinback…), mais il sonne comme celui d'un seul homme. Le barbu Raposa sait prendre son temps et emmène l'auditeur où bon lui semble : le titre d'ouverture "Rose" est une folksong classique, soigneusement illuminée par des touches de chœurs féminins, des cuivres. Mention spéciale à la production claire et dense de Rafter Roberts. Suit une rupture stylistique immédiate avec "On beginning", très électronique avec ses nappes de claviers survolés par la voix de Raymond. On serait presque dans des sonorités à la Vangelis ! La chanson semble se déliter peu à peu, les notes s'espacent et prennent leur autonomie... Raposa parvient à habiter successivement deux territoires très éloignés, comme s'il parvenait à faire se rapprocher des nuages et une terre aride.

Le disque balancera ensuite, parfois au sein de la même chanson, entre électro ambient répétitive (très moderne, presque "drone"), poussées de fièvre rock, et country-folk ouvragée sans âge, dans une ambiance totalement prenante. Raposa enchaîne les prouesses. "My heart" est sur le mode du ressassement obsessif, du texte au motif de guitare proche du blues le plus rentré et auto-hypnotique. Des arrangements étonnants font prendre de l'ampleur au morceau, des couches de voix aigües qui ravissent et déstabilisent : cela appelle immédiatement une autre écoute. "Down the line, love" est autre un tour de force : sur un rythme plus assuré et des guirlandes de piano, une guitare électrique intense surgit comme le loup à l'orée du bois et séquestre la chanson, soudainement gonflée à bloc comme par l'action d'un vent chaud qui emporte tout dans son sillage (nappes de claviers, cuivres). Même chose sur un "No trouble" aux sonorités (trop ?) Badalamenti/Lynch, avec ce vibrato profond de guitare, laquelle prend ensuite deux solos saturés très expressifs. "Thaw and the beasts" coupe le compteur, complainte acoustique tragique et recueillie coupée en deux par des effets inquiétants (et un peu faciles pour le coup, ces cordes de guitare acoustique raclées qui font imaginer quelque chose de tendu à se rompre). Versant électro, "Worn from the fight (with fireworks)", avec sa rythmique minimale hachée est une sorte de Suicide folk : romantique et désossée. "Lucky old moon" est définitivement ailleurs, avec sa gamme asiatique et une ambiance de space-opera. "Dance dance" termine sur un air de classicisme – similaire à l'ouverture "Rose" -, avec même des inflexions à la Bob Dylan (celui de "Visions of Johanna", des accords qui tournent en boucle et la sauce qui monte peu à peu) : une vraie belle et longue chanson, qui ravit l'auditeur sans détours.

"Texas Rose, the thaw and the beasts" est étonnamment expérimental, dépaysant et totalement accessible. Raymond Raposa ménage régulièrement des courtes transitions, qui ajoutent au plaisir de se laisser conduire sans avoir une idée précise de la destination. On ne croise pas souvent la route de disques autant intimes qu'épiques.



CASTANETS No trouble (Live Laundromatinee.com 2008) © Laundromatinee.com