The water is wide

Charles Lloyd

par Sophie Chambon le 29/12/2000

Note: 7.0    

La mer est immense, je ne peux traverser. Je n'ai pas d'ailes pour la survoler. Passée l'interrogation sur le titre de l'album, résolue dès le deuxième morceau, "The water is wide", un traditionnel écossais que Graeme Allright, le barde des années 70 avait rendu célèbre ("Jusqu'à la ceinture"), on plonge dans plus d'une heure de musique, dans un répertoire de ballades sans une once d'énervement. Pas de vague donc avec le premier titre "Georgia", réplique plate du standard de Carmichael , immortalisé par Ray Charles, et aussi par Billie Holliday. Une Billie que Charles Lloyd n'oublie pas, lui dédiant une des plus belles compositions du Cd, "Lady day", vers la fin de l'album. Difficile aussi de s'imaginer que Charles Lloyd a connu les affres du hard-bop quand on écoute les douze pièces de cet album. Encore un musicien qui ne prend pas sa retraite et qui nous conduit sur des voies singulièrement extatiques. La ballade est certes une forme de prédilection, quand on affectionne la voix. Les thèmes choisis, reprises de Duke Ellington ("Black butterfly", "Heaven") de Billy Strayhorn ("Lotus blossom") illustrent cet amour du souffle qui s'attache à la mélodie. Charles Lloyd a constitué un quintet original et très romantique pour servir cette musique : chanteurs à leur manière, ses complices suivent la délicatesse de son jeu, lyrique et retenu à la fois. Le pianiste de cette fin de siècle (?) Brad Mehldau est accompagné de son fidèle Larry Grenadier à la basse, alors que Billy Higgins va à l'essentiel, entraînant la rythmique avec presque rien, suivi de la guitare de John Abercrombie qui a oublié un peu les expériences de Gateway. D'où vient que bercé jusque là, par un morne courant, on ne commence à entrevoir l'autre rive qu'à la moitié du disque très exactement ? L'intérêt est soudain attisé par le duo splendide piano-sax dans "The monk and the mermaid" : s'est-on enfin installé dans ce climat serein, intemporel mais vibrant ? Après l'exaltant "There is a balm in Gilead" martelé par Higgins, Charles Lloyd, le passeur de cet album, aborde le terme de ce voyage avec le souffle léger et subtil d'une "Prayer" qui s'éteint doucement.