Au large d’Antifer - Musique autour des peintures de Louis Gagez

Cine Xtet - Bruno Régnier

par Sophie Chambon le 08/02/2012

Note: 9.0    

 Voilà une réjouissante mise en musique de la peinture de Louis Gagez, autour d’une série de tableaux exécutés entre 2007 et nos jours.
Tout a commencé quand le peintre a apporté quarante toiles chez Bruno Régnier qui a élaboré sa musique à partir d’associations personnelles, en s’inspirant du work in progress. Ce qui fait l’intérêt de ce Cd/ Dvd est d’observer la démarche parallèle entre le peintre et le compositeur de musique : si Gagez "pense" la peinture, effaçant des strates pour faire ressurgir certaines choses qui ne s’offrent pas de suite, la musique de Régnier favorise aussi l’apparition de couches musicales. Une véritable analogie se dessine entre ce travail d’assemblage d’éléments, de grattage, de recouvrement, où les musiciens de l’Xtet interviennent directement, avec le souci de faire sonner la musique, de se l’approprier et de "jouer" à tous les sens du terme.
L’Xtet de Bruno Régnier est membre de l’association Grands Formats, les musiciens se connaissent et jouent ensemble depuis longtemps cette musique exigeante, figurative. Dans les Ciné Concerts, autre expérience bien connue de l’Xtet, la musique porte une image, au détour d’une histoire. C’est autre chose ici, de par la volonté affirmée de Bruno Régnier de renouveler les approches de ses compositions. L’objectif est d’accompagner dans ces déambulations le visiteur-auditeur au fil d’une exposition-concert, car ce sont bien des tableaux musicaux d’une exposition qui nous sont proposés, une excellente initiative pour se trouver en lieu et place du concert, au Petit Faucheux de Tours, tout en feuilletant le carnet de peintures, petit livret d’exposition soigné et très réussi dans la mise en page.

On voit aussi la musique en train de se faire, chaque membre de l’orchestre intervient dans le Dvd, sans que cela soit artificiel, pour évoquer la musique, son rôle, le travail en équipe. Car les musiciens ont leur rôle à jouer dans la mise en scène, solistes par intermittence, comme le tromboniste Bastien Ballaz sur "Twins", le trompettiste Alain Vankenhove sur "Kraken", le batteur Guillaume Dommartin sur "Ruines" ponctuant les images de la peinture omniprésente, le contrebassiste de Frédéric Chiffoleau dans le final détonant… Il faudrait citer tous les musiciens dans ce travail d’adaptation, de rééquilibrage, de nuances, travail collégial, sans conflits, de mieux en mieux géré. Le verdict vient tout seul : c’est le rendu de la musique qui prime. Si Bruno Régnier a raconté une histoire qu’il partage, gardant la vision de la forme globale, du projet final, chacun est mis en avant à un moment ou un autre, improvisant ou non, toujours en grande liberté, même dans l’interprétation des parties écrites. Ils font apparaître à leur tour autre chose que ce que le compositeur avait peut-être suggéré, en soulignant d’autres aspects, prolongeant une idée, une émotion.

C’est en effet le "maître mot" comme dit le peintre, tout part d’un bouquet non final justement, débute à partir d’une émotion. La démarche est de se laisser guider par ce qui vient, de rechercher cette transparence que l’on voit en peinture. L’ensemble en réfère au travail des éléments atmosphériques, géologiques, adapte plissement, relief , s’inscrit dans l’aléatoire de la nature : quelque chose se joue sous nos yeux, rapidement mais parfois après bien des répétitions. Sur scène, ça se joue évidemment aussi en plusieurs plans, avec en fond un écran où sont projetées les toiles de Louis Gagez, triturées, décomposées, avec des filtres sur éclairés. Des fondus enchaînés entre musiciens en train de jouer et peintures qui apparaissent et les recouvrent ! On suit avec plaisir l’exposition de chaque titre, avec des effets recherchés de renouvellement pour accompagner la musique qui se joue.

Enfin une captation qui n’est pas monotone et la preuve que "l'oeil entend". Un parcours réussi de croisement des arts et de confrontation des tendances.


NB : Bonus vidéo conçu en trois chapitres : A l’origine (ou la rencontre dans l’atelier) ; la résidence et le travail de l’orchestre ; la galerie de tableaux de Louis Gagez.


BRUNO REGNIER (Petit Faucheux Tours Septembre 2011)

Ciné X'TET/Bruno Regnier, ciné-concert, extrait... par jazzatoutva