Steamboat Bill, Jr. - Musique pour le film de Buster Keaton

Cine Xtet - Bruno Régnier

par Sophie Chambon le 20/04/2008

Note: 8.0    

Comme au temps du muet, où le cinéma passait commande aux musiciens, certains jazzmen actuels aiment à accompagner la projection d'un film, à en doubler les images. Que sait-on d'ailleurs de la musique qui se créait ? Etait-ce pure improvisation ? Composer une musique de film, muet de surcroît, exige de la rigueur par rapport au scénario et à l'évolution des personnages, de la précision dans le tempo de l'action, une traversée des couleurs et climats de l'époque, la fidélité à une certaine esthétique cinématographique. Et quand il s'agit de l'inénarrable Buster Keaton, "l'homme caoutchouc", l'un des plus géniaux acteurs burlesques, pantin au masque apparemment impassible, la tâche est loin d'être aisée : rester dans l'action qui évolue sans cesse, ne pas en être prisonnier, laisser l'image respirer librement, exige une osmose entre la mise en scène et le rythme intérieur de l'acteur, saccadé jusqu'au délire. D'autant que Buster Keaton était lié au muet par sa ryhtmique autant que par sa plastique et qu'il déclina à l'arrivée du parlant.

On découvre avec le Cine Xtet de Bruno Régnier, illustrant le film "Steamboat Bill, Jr." de 1928 (il en sort un autre consacré à celui de 1924 "Sherlock Jr."), le réel goût de ce musicien protéiforme pour cet exercice de style, contraignant mais sans doute valorisant. A la tête d'un ensemble modulable, l'Xtet, octet de cordes-cuivres-anches, Bruno Régnier gère les compositions et la mise en place. Entre jazz et musique de chambre interviennent de plaisants souffleurs que l'on apprécie dans ce contexte, nouveau pour eux, la jeune Airelle Besson au bugle et à la trompette, Sylvain Rifflet son partenaire de Rocking Chair, aux clarinettes et saxophone ténor. Citons aussi aussi le tromboniste Jean-Louis Pommier, le tubiste Pascal Rousseau et Jean Baptiste Rehault au sax alto et baryton. Pas de contrebasse mais une rythmique affûtée avec percussions, vibraphone (Kit Le Marec), un batteur efficace (Nicolas Larmignat) et un guitariste qui apporte sa fraîcheur (Pierre Durand).

Voilà une musique intimiste, poétique et pourtant pleine d'allant. Les instrumentistes se lancent à corps perdu dans des solos de charme, nous plongent dans des unissons pleins de nostalgie mais font souvent preuve d'une belle d'énergie. Ils improvisent aussi sur de courts interludes qui correspondent aux cartons. Selon leur perception, leur travail s'inspire et se détache à la fois de la forme seule. Film muet et musique se combinent admirablement, mais la musique peut-elle l'emporter sur les images ? Eh bien, dans le cas des compositions très structurées de Bruno Régnier, contrairement à l'ordinaire, si on ne connaît pas les films ou si on ne les a pas (ou plus) en mémoire, cette musique se suffit merveilleusement à elle même. Ce qui n'est pas une mince affaire et un compliment assurément.