Bassma suite

Claude Tchamitchian Grand Lousadzak

par Hugo Catherine le 29/05/2005

Note: 10.0    

Cette troupe lâche un son qui n'a rien d'une bizarrerie scandaleuse mais tout d'un big foutoir jouissif. Leurs ritournelles incessantes sont inclassables, hors-classes : fougue tribale, orchestration classique, orientation free-jazz, influence post-rock ? Peu importe. Force est ici de constater que les arrangements les plus chiadés n'enlèvent rien à la fringale expérimentale de cet orchestre de fous-furieux.

Amateurs de musiques répétitives ou sérielles, fuyez à grands pas ! Ici, alors que nous croyons à un solo de piano déstructuré à grand renfort de roulements de toms et de saccades cuivrées, une marche nette et lourde surgit, lugubre et dissonante. Cette marche cadencée avance tambour-battant et, pourtant, petit à petit, les ponctuations s'effritent, s'étiolent, de rugissements en crissements, de crissements en meuglements.

Cependant, l'éclectisme du flot n'enlève rien à la continuité des morceaux. La structure musicale n'a rien d'une fumisterie bordélique. Les allures peuvent être saccadées mais l'unité créatrice de l'ensemble n'est jamais rompue. La complexité rythmique et l'emballement mélodique sont incessamment au service d'une festivité brute en forme de kermesse douce-amère. Toujours, les rythmes se calent, les mélodies s'assemblent, les aboiements s'accordent. Malgré la masse sonore tout à fait expérimentale, l'accroche musicale est joyeusement claironnante. Si le fouillis instrumental ne rechigne pas à exulter dans une joie et une allégresse toutes primaires, l'équilibre de l'ensemble est brillant, pertinent, ravageur.

Les musiciens crachent leurs roucoulements et leurs plaintes organiques tout du long. La furie musicale de cet album peut atteindre des pics émotionnels ahurissants. La mise en branle des instruments relève alors d'une énergie totale, énorme, furtive. La violence instrumentale nous achève, le phrasé musical est mortellement bon, jamais gratuit, toujours extrême. Au bout du voyage, les cris s'évanouissent, s'amoindrissent, lentement, plaintifs. Mais avant cela, il faut en passer par une musique tout en tripes : les courses sont effrénées, les montées en puissance effrayantes. Au bout des cris, il ne reste que les mugissements fatigués.

Ce jazz est virevoltant, désaxant, classique et défricheur, ancestral et futuriste. L'auditeur est déboussolé mais radicalement fasciné. Il est face à une création musicale tout à la fois écrite dans ses moindres détails et improvisée à l'extrême. Sans aucun doute ce qui se fait de mieux dans la combinatoire de deux voies si contradictoires.