One year

Colin Blunstone

par Jérôme Florio le 20/12/2003

Note: 9.0     

Colin Blunstone, à la sortie de "One year", n’en est pas à son coup d’essai : il a été le chanteur du groupe de pop psychédélique anglais The Zombies, jusqu’à leur séparation en 1968 après l'enregistrement de leur classique "Odessey & oracle". Revenu à la vie civile, il retrouve en 1970 le chemin des studios, motivé par le succès à retardement du single "Time of the season". Il choisit de s'entourer de ses anciens compères et têtes pensantes des Zombies, Rod Argent et Chris White, pour arranger et produire son premier disque solo : "One year" sort en juin 1971 sur le label Epic, soit un an exactement après le début des sessions – d'où le titre du disque.

Blunstone a donc pris son temps : il en résulte un disque intemporel, un travail d’orfèvre débordant d'intelligence mélodique et d'arrangements étonnants. "One year" ménage des portes d’entrée évidentes : "She loves the way they love her" est une histoire de fascination hédoniste exposée sous les sunlights, avec un piano fièrement martelé et des guitares glam-rock conquérantes (on croise Tony Visconti, producteur de David Bowie à la même époque). "Caroline goodbye", avec ses cuivres dorés par le soleil californien, préfigure l’orientation de la musique pop américaine des seventies. Mais une fois que l'on a pénétré plus à l'intérieur, on est pris dans un tout autre décor : la voix voilée de Colin Blunstone va servir de fil rouge à travers des vignettes intimistes au foisonnement dépouillé, qui fuient les coups de soleil pour tirer vers la musique de chambre.

Maltraitée par le premier amant maladroit venu, l'intouchable "Misty roses" de Tim Hardin risquerait fort de se faner : ici c’est tout le contraire. Après un début doucement chaloupé, elle bourgeonne et déploie abruptement ses pétales vers des territoires qu’on ne lui soupçonnait pas, évadée dans une pièce classique au romantisme européen tragiquement arrangée par Rod Argent ; on ne voit guère aujourd’hui que Stina Nordenstam pour proposer des relectures aussi vibrantes, en remplaçant les arrangements orthodoxes de la pop à guitares par une féérie de cordes. Suit toute une collection de fleurs baroques poussées en intérieur, amoureusement couvées par la paire Argent/White : "Smokey day" et "Her song" recouvrent Hollywood du voile brumeux de la voix de Colin Blunstone, fog londonien à travers lequel perce un soleil pâle ("I can’t live without you"). Blunstone signe des chansons pour la première fois de sa carrière, et montre en utilisant harpes, violons et violoncelle sur "Though you are far away" un grand talent de compositeur pointilliste. Seule "Mary won’t you warm my bed", avec sa guitare rythmique soul, trop décorée, est moins convaincante. Colin Blunstone largue définitivement les amarres avec "Let me come closer to you", dans laquelle il ne semble susurrer que pour lui seul, et "Say you don’t mind", gracieux réarrangement d’un tube de l’époque qui sera le seul single à remporter un succès en Angleterre.

"One year", en insufflant au format pop autant d’intelligence et de savoir-faire, l'élève au rang d'un noble artisanat : on ne remerciera jamais assez Colin Blunstone et ses pairs de tenir l’auditeur en si haute estime.