| | | par Jérôme Florio le 13/03/2004
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| La dernière fois que l'on a vu Colin Newman, c'était en 2001, à l'occasion d'une tournée de Wire : rage intacte, un mur du son massif, impressionnant de tension maîtrisée. Vingt-cinq ans plus tôt, Wire sonnait comme du punk éduqué aux Beaux-Arts voir les visuels des pochettes, tout en graphisme froid. Après avoir enregistré trois disques fondamentaux entre 1976 et 1980 ("Pink flag", "Chairs missing", "154"), Wire est mis entre parenthèses, pour permettre à ses membres de poursuivre de multiples projets parallèles. De son côté, Colin Newman va progressivement s'orienter vers les synthés et l'électronique, sous son propre nom, ou derrière divers pseudonymes (Oracle, Immersion, Intens
), souvent accompagné de sa compagne Malka Spigel (bassiste de Minimal Compact à l'époque de "Commercial suicide"). Wire va aussi profiter de ces recherches passionnantes, en se réinventant une première fois en 1989 sur l'excellent "Ibtaba", puis en Wir a dominante électronique (la disparition Perecienne du "e" pour l'absence du batteur Robert Gotobed).
"Commercial suicide" appartient à la veine synthétique de Newman - une personne de son entourage avait comparé le disque à du "Suicide (groupe d'Alan Vega et Martin Rev) commercial", d'où son titre un peu pince-sans-rire. Une note de pochette cite Robert Wyatt, et on est assez d'accord : Colin Newman démontre un incroyable sens de l'équilibre entre éléments électroniques et organiques, les affleurements de cordes évoquant aussi le travail subtil de Stina Nordenstam. Une démonstration d'intelligence rare dans le monde de la pop.
Les mélodies et refrains de "Commercial suicide", "Feigned hearing", "Can i explain the delay ?" pourraient bien être de la pure pop, mais placée sous un éclairage différent : comme l'explosion de possibilités ouvertes par Brian Eno et David Bowie sur "Low" dix ans auparavant, chaque titre est une proposition pour la musique de demain. Un groupe pourrait construire sa carrière sur n'importe lequel de ces morceaux de trois minutes, mais Newman préfère avancer, sans se retourner sur les territoires qu'il a exploré.
Tout "Commercial suicide" passe avec le naturel d'une onde à la surface d'un lac. Jamais Colin Newman ne s'attarde sur ses trouvailles : un travail extrêmement composé, réparti avec parcimonie, qui reste d'une légèreté et d'une accessibilité immédiates. Il échafaude un fond synthétique plus ou moins complexe, qui imbrique boucles électroniques, claviers en suspension, cordes, et vocaux austères. Quelques zébrures de guitare viennent de-ci de-là rayer les surfaces lisses et réfléchissantes. On retrouve ce ton assez aristocratique (hautbois et clarinettes sur "Their terrain", les cordes pincées de "I'm still here"), ce goût pour les néologismes excentriques et barbares ("Metarkest") - une spécialité que Stephen Malkmus (Pavement) reprendra à son compte -, des textes abscons et mystérieux.
Mais au final, il est question d'amour, de sentiments : pas question de les dissoudre dans la technologie. Newman sait très bien où est la place de chaque chose, où se trouve l'humain. Sur "But i
", c'est un violoncelle qui donne le rythme ; la basse et le chant de Malka Spigel ("2-Sixes") amènent un peu de rondeur au milieu de cet assemblage de signes sonores, font pulser lentement la sombre"I can hear your
".
"Interview" (plus un remix), enregistrée en 1996 pour une précédente réédition (tous les détails dans la chanson !) enfonce le clou : douze minutes fascinantes dans lesquelles Newman s'adresse à l'auditeur en digressant sur sa vie et sa musique, sur un tapis d'électronique pénétrant et organique.
Paradoxalement, ce "suicide" réinjecte de la vie dans la pop, ouvre grand des lignes et des perspectives et lui prépare un avenir toujours d'actualité, même dix-sept ans plus tard. |
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