Elvis Perkins in Dearland

Elvis Perkins

par Jérôme Florio le 26/03/2009

Note: 8.0    

On avait adoré Elvis tout seul, avec le beau et douloureux "Ash wednesday" (2007) : il nous revient sous le nom Elvis Perkins In Dearland, et on l'aime presque autant. Presque...

"Elvis Perkins In Dearland" affirme que Perkins et son groupe ne font plus qu'un (l'Américain possède depuis longtemps deux pages myspace, l'une en solo et l'autre avec Dearland, mais la frontière n'est pas très nette). Ils ont arrangé ensemble les chansons de ce disque et leur ont fait subir l'épreuve de la scène : certaines semblaient déjà bien rodées dès le deuxième passage parisien du groupe, en mai 2007. Parmi elles, "Shampoo" ouvre sur une note emballante. Emmenée par la basse athlétique de Brigham Brough, c'est presque un reggae, mais bien tendu et qui souligne une qualité essentielle chez Perkins : ce pouvoir qu'il a, dans sa voix, non seulement de porter et faire partager son fardeau (lourd, on ne reviendra pas dessus), mais aussi de pouvoir prendre celui des autres sur ses épaules. Comme Bob Marley, Jeff Buckley, ou Bob Dylan... ce dernier étant une figure à laquelle on pense souvent à l'écoute de ce nouveau disque. "Shampoo" montre une volonté combative, mais cette flamboyance a tendance à s'affaisser un peu par la suite. Dès "Hey", on a la coloration de l'ensemble : Dearland avance groupé, Elvis Perkins est moins en avant, un membre a égalité des autres (à l'image de ce que voudrait Neil Young avec Crazy Horse). Cela se sent aussi dans le mix. Même après plusieurs écoutes, on peine à trouver la clé de "Elvis Perkins In Dearland" : c'est ce qui pousse à le remettre sur la platine.

Le disque ne comporte pourtant que de bonnes chansons, mais on le traverse sans passer par un point culminant. Plus indistinct que "Ash wednesday", qui était immédiatement lisible dans sa progression et sa thématique, "Elvis Perkins In Dearland" atteint moins directement sa cible car Perkins se montre plus allusif dans ses textes. Mais quand il simplifie le propos, cela touche sans faute, par exemple ces paroles sur "1 2 3 goodbye" : "I love you more in death than I ever could in life", plus les cordes qui s'envolent à la fin comme sur "Astral weeks" de Van Morrison...

Dearland s'arme de l'attirail d'un "marching-band", l'équivalent de nos fanfares avec cuivres et percussions - c'est une tradition très vivace aux Usa, notamment dans les universités qui possèdent chacune une formation qui les représente. Il y a un bel arrangement au milieu de "Send my fond regards to Lonelyville", une chanson qui tourne en boucle comme Elvis sait bien les faire, mais un peu opaque. La grosse caisse ("marching-drum") sur "Doomsday" marque la cadence comme un coeur qui bat ; sur "Chains chains chains" en revanche, la fanfare est triste, sentiment souligné par un fiddle (le violon country) plaintif. "Hours last stand" et "I heard your voice in Dresden" (les villes et les vies bousillées, là encore) n'apportent rien de neuf à ce que l'on connaît déjà de l'Américain, que ce soit dans le registre mélancolique ou enlevé, avec quand même une belle santé. A mi-parcours "I'll be arriving" met un drôle de coup de grisou, avec ses giclées d'orgue et un riff à l'électricité stagnante. La voix trafiquée et dédoublée rajoute à l'ambiance torturée, qui oriente le disque sur une fausse piste dont il ne sortira pas tout à fait.

"Ash wednesday" était un deuil partagé en public, maintenant l'énergie de "Elvis Perkins In Dearland" renoue avec des sentiments plus confortables, plus présentables. Même si on regrette un peu de s'en sentir moins proche, on est prêt à célébrer avec Elvis Perkins ce nouveau départ.




ELVIS PERKINS IN DEARLAND Shampoo (Gold Room Session 2009)