Photographs as memories

Eyeless in Gaza

par Emmanuel Durocher le 31/08/2008

Note: 8.0    

Duo formé à partir du chanteur et guitariste Martyn Bates et du multi-instrumentiste Peter Becker, Eyeless in Gaza se distingue radicalement des autres groupes de la scéne post-punk sombre du début des années 80 en s'y trouvant inclus par défaut – expliquant peut-être le manque de reconnaissance critique et publique : ils ne puisaient pas leurs origines dans le glam comme Bauhaus et Sex Gang Children, n'étaient pas aussi rock que Southern Death Cult ou les Sisters of Mercy, n'offraient pas une musique assez dansante pour les soirées Batcave et leur nom s'inspirait d'une nouvelle d'Aldous Huxley ("La paix des profondeurs" en VF). En fin de compte le terme "gothique" ne convient au groupe que pour qualifier le chant de Bates – une sorte de cri barbare mi-chanté mi-hurlé cherchant à tout dévaster sur son passage.

Sorti au tout début de l'année 1981, le premier album des Anglais met à jour un son unique et anachronique grâce aux incantations quasi religieuses du chanteur et une musique au minimalisme déconcertant où se télescopent clavier neurasthénique accompagné d'une boîte à rythmes souffreteuse et guitares brumeuses et éthérées : Eyeless in Gaza semble être le chaînon manquant entre les textures translucides du Cure de "Seventeen seconds", l'électronique hypnotique de Suicide et la rage désabusée d'Anne Clark.

Réédité par Cherry Red - leur label historique d'origine - avec en bonus "Invisibility" et "Others", les deux maxis parus cette même année 81, "Photographs as memories" est un véritable révélateur de l'état du groupe à ses débuts, une collection d'instantanés qui rassemble à la fois des morceaux terrifiants et très courts proches de l'urgence punk, "Seven years", "Fixation", "Invisibility"… des titres qui savent prendre leur temps à travers les expérimentations orientalisantes, "John of Patmos", les ambiances subaquatiques, "Three kittens", ou la poésie lugubre et désenchantée, "Knives replace air". La machine peut parfois tourner à vide quand les musiciens donnent l'impression de se plagier eux-mêmes ("A keepsake", "No noise") ou de lorgner un peu trop chez les copains ("Faceless" sent un peu trop le Cure réchauffé) mais l'intransigeance de ce binôme mutant ne peut que forcer une certaine forme de respect