Voici une curieuse association entre
d'une part le premier album de Françoise Hardy de 1962 - pas de
révolution ici, tout est connu - et sa version en italien, celle-ci
beaucoup plus intéressante, et deux albums obscurs de Sacha Distel -
période guitariste de jazz -, deux pépites oubliées.
Les artistes français de chez Vogue,
maison française haut de gamme des années 60, qui marchaient bien,
avaient pour habitude (ou obligation marketing), d'enregistrer leur
chansons en allemand et en italien, via les filiales de la maison en
Allemagne (Vogue Schallplaten) et en Italie (Dischi Vogue). Le label
faisait bien les choses, utilisant des auteurs traducteurs renommés
et réengistrant entièrement les morceaux sur place avec
arrangements et musiciens locaux.
Ainsi, le premier Lp de Françoise
Hardy (celui de "Tous les garçons et les filles"),
entièrement co-écrit en français et orchestré par Roger Samyn,
est traduit en italien par Vito Pallavicini et réenregistré à Rome
avec le groupe de Ezio Leoni. Leoni n'est pas un inconnu, chef
d'orchestre et arrangeur hors-pair pour notamment Adriano Celentano
(chanteur le plus populaire de la péninsule), il est surtout sous le
pseudo de Len Mercer un excellent jazzman, quand il accompagne et
arrange par exemple Chet Baker lors de son premier séjour en Italie
dans les années 50 ("The Milano Sessions").
Conçue différemment de l'album
français, la version italienne voit disparaître six titres ("Ça
a raté", "La fille avec toi", "Il est tout pour
moi", "On se plait", "J'ai jeté mon cœur"
et "Il est parti un jour") pour en gagner quatre autres,
"Une ragazza comme le altre" ("Comme tant d'autres"),
"Per tanto tempo" ("Bien longtemps"), "L'amore
va" ("L'amour s'en va") et "Io vorrei"
("J'aurais voulu"). Le plus grand changement est cependant
musical, car sous la houlette de Leoni, la tonalité diffère, avec
des arrangements plus soyeux, plus denses, parfois même assez jazzy
("Une ragazza comme le altre"). La différence se laisse
entendre dès le premier morceau, "L'eta dell'amore" ("Le
temps de l'amour"), un vrai petit combo à la Shadows avec basse
swingante, guitare en avant et batterie bien maîtrisée porte la
voix vaporeuse de FH. Une belle surprise.
Quant à Sacha Distel, on pourra
éternellement regretter son virage variétés crooner french
lover à sourire dentifrice des années soixante qui lui fit
enregistrer des chansonnettes à la mode (parfois des daubes). Mais
sans doute préférait-il cette vie de dolce vita l'hiver à
Courchevel l'été à St Tropez à une carrière de jazzman que
son oncle Ray Ventura avait guidé dès l'adolescence. Car jazzman il
était. Classé meilleur guitariste de jazz par la revue de référence
Jazz Hot tout au long des années cinquante, il était un musicien
recherché, accompagnateur de grands noms (Lionel Hampton, Louis
Armstrong, Modern Jazz Quartet, Michel Portal, Stéphane Grappelli,
Maurice Vander, Sarah Vaughan...) et le grand luthier français
Jacobacci donnera même son nom à une de ses guitares électriques.
En 1957 il enregistre à tour de bras,
avec son quartette, son quintette (Bobby Jaspar, Bill Byers, René
Urtreger, Paul Rovere et Al Levitt), avec les Bobby Jaspar All Stars
(les mêmes plus Benoit Quersin et Jean-Louis Viale) ou en duo avec
un autre guitariste Jean-Pierre Sasson.Il nomme même un trio Altitude 10500
le temps d'une mini-session enregistrée en 1959 dans une Caravelle
d'Air France qui fait des ronds à 10500 mètres d'altitude au-dessus
de Deauville, Distel jouant "Nuages" de Reinhardt, une
filiation avec Django qui est présente tout au long de sa carrière
de guitariste.
Un dernier Cd, datant de 1956, regroupe
Distel en quintette avec John Lewis et Connie Kay (MJQ), Barney Wilen
et Pierre Michelot, une session en mini big band ("Jazz
d'aujourd'hui"), avec une belle reprise de "Round about
midnight" de Monk et la musique du film "L'orgueil" de
Roger Vadim (dans "Les 7 péchés capitaux"). Des
rééditions bienvenues.
FRANCOISE HARDY L'eta dell'amore (Audio seul 1963)
SACHA DISTEL, RENÉ URTREGER, PAUL ROVÈRE, JEAN-LOUIS VIALE Blues for Marianne (Live 1958)