Les chiens mangent les chiens

Fred Alpi

par Jérôme Florio le 25/03/2003

Note: 7.0    

"Y'en a pas un sur cent, et pourtant ils existent" : Léo Ferré, dans "Les anarchistes", aurait pu écrire cette phrase en pensant à Fred Alpi. Alpi ne le cache pas : ses amitiés sont libertaires. A peine le temps de glisser le disque dans le lecteur, et on se retrouve dans la rue, au milieu d'une insurrection, Alpi montrant le chemin debout sur les barricades. L'expression "chanteur engagé" prend ici tout son sens. Engagement physique d'abord : c'est une musique de combat, un rock de durs, de tatoués, chauffé à blanc dans le brasier de la révolte (sa "lumière dans la nuit"). Engagement politique ensuite : on croirait entendre la mise en musique des idées forces du mouvement ("Les chiens mangent les chiens"). Mais on n'écoute pas du rock pour se faire encarter, serait-ce dans les brigades rouges... Alpi fait feu sur toutes les institutions oppressives qui empêchent l'épanouissement de l'individu : l'Eglise, l'Etat, les partis et la démocratie, les médias. Marqué par une critique marxiste de la société, il fustige la servitude volontaire et le cannibalisme de classe. Les seules droite et gauche qu'il respecte sont ses poings. "Je ne serai vraiment libre que lorsque tu le seras aussi" - Bakounine n'aurait pas mieux dit s'il avait joué dans un groupe de rock. Le message passe mieux quand il est porté par une énergie punk salvatrice ("Un philosophe sans pensée", "Jean-François B, social-démocrate"), coktails molotov lancés dans la vitrine du politiquement correct. Là où Fred Alpi se démarque des groupes lambda démago, antifascistes ou engagés, c'est d'abord  par le son, d'un noir charbonneux pour les guitares, lourd et puissant - Alexander Hacke d'Einstürzende Neubauten à la production. Et  par sa personnalité, qui affleure de plus en plus une fois l'essentiel de sa bile déversée sur la première la moitié du disque. Avec "Ton nom en rouge"(qui rappelle "Le rouge et le noir" de Claude Nougaro), tentative de poétisation du politique pour irriguer la vie, enfin les biceps ne sont pas les seuls muscles avec lesquels Alpi s'exprime : le coeur se fait aussi entendre. Conteur cousin de Theo Hakola, il consacre deux chansons à des figures tutélaires : Joe Hill, chansonnier syndicaliste, figure martyre de l'A.I.T. du début du siècle dernier aux USA. Et John Massis, belge entré au livre des records en 1992 pour avoir tiré deux wagons de plusieurs tonnes sur sept mètres. Alpi le décrit comme une force de la nature, malaxant l'acier entre ses dents, pourtant brisé par une histoire d'amour. Il semble que l'issue de tels choix de vie ne puisse être que tragique : abattu pour Hill, suicide pour Massis. En quête d'unité, Alpi cherche à résoudre la dualité entre le corps et l'esprit : le corps est au service de l'affrontement (Alpi enseigne le Kung-Fu), l'esprit cherche à s'élever. Comme John Massis, Alpi et ses amis "cherchent la force à l'intérieur". "Equinoxe", dernière plage acoustique, est le repos d'un guerrier pas encore en paix avec lui-même. Fred Alpi le sait : le chemin vers "la sagesse, la force, la beauté" est encore long.
NB : tout est en téléchargement libre sur son site. Le disque est un bel objet (pochette et livret
signés de l'artiste Kiddy Citny).