The edge of heaven

Gary Lucas

par Sophie Chambon le 28/06/2002

Note: 9.0    

Label Bleu a sorti une collection Indigo de "musiques inspirées, ludiques, épicées, gorgées de swing et d'émotion, autant d'appels à l'évasion ou au rêve". Rien ne saurait être plus juste avec ce délicieux "The edge of heaven" de Gary Lucas, personnage hors norme… Voici le disque absolument intemporel d'un guitariste fou qui a accompagné l'iconoclaste et délirant Captain Beefheart, le regretté Jeff Buckley, Leonard Bernstein, a fait partie de la Knitting Factory et a enregistré pour le label Tzadig de John Zorn. Il se paie la fantaisie d'arranger avec son groupe Gods and Monsters, sur le mode country et bluesy des chansons de la pop chinoise des années quarante et cinquante, des tubes en mandarin de deux des plus grandes divas locales Bai Kwong et Chow Hsuan, surnommée "The golden voice". Une musique que le succès de "In the mood for love" de Wong Kar Wai a remis à l'honneur, puisqu'on y entend justement avec Nat King Cole, Chow Hsuan dans la bande originale. Nostalgique de voyages à Taipei, Hong Kong et Kowloon, au temps de sa jeunesse, pendant les seventies, à l'heure de l'explosion du rock le plus brûlant, Gary Lucas s'est laissé envoûter par ces mélodies désuètement kitsch, à l'écart des modes, qui nous divertissent de préoccupations plus actuelles. Ce n'est assurément pas du jazz, mais Gary Lucas tricote avec ses guitares aimées, slide et National steel guitar, des accords tendus, vibrants et tendres dans les pièces instrumentales seulement ("Where is my home", "The wall", "Old dreams"). Ainsi le Far West rejoint le Far East. Dans ces merveilles douces et sucrées, formatées (à peine plus de deux minutes), tout l'exotisme de la Chine est mis en scène, une Chine mythique à laquelle rêvent les Occidentaux. Dans ce théâtre d'ombres, tout en obliques et en détours on se laisse subjuguer par ces chansons d'amour ("I'll wait for your return") chantées aujourd'hui par Célest (on ne saurait inventer un pareil prénom) Chong ou "Please allow me to look at you again". Transporté dans les fumeries d'opium d'un Shangaï fantasmé ou celles de Chinatown, on pense alors à cette scène de "Il était une fois l'Amérique" où Robert de Niro, hilare, rêve d'une autre vie, dans ce refuge provisoire...