Spirit

Geoffrey Oryema

par Francois Branchon le 10/02/2000

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Omera John
Mara


Il existe au subtil jeu de rugby une ligne imaginaire mais bien réelle, la fameuse ligne d'avantage qui départage presque "au feeling" les deux équipes qui s'affrontent. Les plus beaux matchs sont souvent ceux où les packs rôdent en permanence autour de cette frontière occulte, retardant à l'envie le choix du vainqueur. Lorsque des musiciens ont tenté de mêler musiques occidentales et africaines, la balance a toujours eu tendance à pencher d'un côté : Ali Farka Toure et Ry Cooder ont fait une musique "nettement" africaine, Richard Bona fait une musique "nettement" occidentale. Paul Simon lors de ses pérégrinations sud-africaines ou le batteur Stewart Copeland (débarrassé de Police) avec "The Rythmatist" ont tenté, venant de la rive occidentale, le bivouac au milieu du gué. Depuis ses débuts chez Real World avec "Exile" (premier album plein de grâce), Geoffrey Oryema est un des rares africains à s'y être installé, mêlant ses racines ougandaises à des structures de morceaux très occidentales (Tama a récemment réussi cela). Les premières apparitions d'Oryema sur scène, accentuaient encore cette image de "Leonard Cohen noir", sans signe extérieur d'africanité (tout de blanc vêtu), avec une seule guitare acoustique folk en mains. "Spirit", son troisième album, est une étape encore plus aboutie dans cette appropriation du juste milieu, qui départage ici la forme et le fonds : les instruments sont essentiellement occidentaux avec une production anglaise (Rupert Hine expert en sons soignés) et l'âme, comme la tournure d'esprit et l'attitude envers le monde sont profondément africaines (même lorsque Geoffrey Oryema reprend "Listening wind" des Talking Heads). Un morceau est emblématique de cette dualité : "Omera John". Une seule guitare acoustique, alerte et fine le démarre, le chant vient la survoler, aigu et aérien d'abord, puis psalmodiant, et comme en écho à ces incantations, apparaissent progressivement cymbales, percussions, tambourin, basse, batterie, comme autant d'affluents d'un torrent vite transformé en fleuve exubérant par les arrangements de violons de Rupert Hine. Et l'Afrique dans tout ça ? Dans le paradoxe peut-être : ce véritable "hymne à la joie" est en l'honneur d'un mort, son frère John Nyeko.