Manhole

Grace Slick

par Francois Branchon le 09/10/2011

Note: 7.0    

Grace Slick était fascinée par la Renaissance espagnole et son melting pot judeo-celto-ibero-arabe, une influence que son premier fait d'armes en 1966, "White rabbit", construit en crescendo / flamenco (à la manière du "Bolero" de Ravel), illustrait déjà. Sept ans plus tard, en 1973, la scène musicale "hip" de San Francisco est en piteux état : lessivés, Grateful Dead et Quicksilver pondent de poussifs et anonymes albums, It's a Beautiful Day est égaré et Jefferson Airplane, le vaisseau amiral de la Bay, est crashé, son rejeton Hot Tuna définitivement barré pour vivre sa nouvelle vie bluesy avec entrain. Tout ce beau monde au carreau s'emmerde et retrouve quelque flamme au sein des multiples albums "solo" qui fleurissent dès 71, "Have you seen the stars tonight" et "Baron Tollbooth..." de Paul Kantner, "If i could only remember my name" de David Crosby, "Rolling thunder" de Mickey Hart... jusqu'à ce "Manhole" de la madonne de l'Airplane, dont ses concepteurs seront si satisfaits qu'ils décideront d'en pérenniser la formule. Ainsi naquit le Jefferson Starship, baroque avatar de l'Airplane.

Sii "Manhole" est d'inspiration espagnole, son casting a tout de l'auberge du même nom : David Freiberg et Gary Duncan (ex Quicksilver), Peter Kaukonen (frère de l'autre), Craig Chaquico (ex Jack Traylor, groupe de l'écurie maison Grunt), John Barbata (dernier batteur de l'Airplane), Paul Kantner (ex-mari) entourent la dame. Quant à Jack Casady et David Crosby, ils passeront faire un tour, mais pour de simples participations. Pas folles les guèpes...

RCA, frustrée par le split de l'Avion, rentable machine à dollars depuis 1969, ne refuse rien à Grace Slick, à ses yeux seul membre "bankable" de l'ex Airplane, et on sent ici la carte blanche et les chèques en blanc pour satisfaire aux caprices (sessions à Londres avec le London Symphony Orchestra). Bien misé, puisque le Jefferson Starship, qui décolle pour sa première tournée un mois après la sortie de "Manhole", deviendra une machine de stade et un vrai jackpot.

Au delà des moyens déployés, "Manhole", qui s'ouvre par un hommage discret et fin à Jerry Slick, premier mari de Grace ("Jay"), est artistiquement ambitieux et, à l'image de son titre ("plaque d'égoût") pas forcément facile. Ambitieux avec son "Theme from the movie Manhole", bande-son imaginaire d'un quart d'heure chantée en espagnol, où Ron Carter - alors bassiste de Miles Davis - est invité à  structurer les lignes de basse (Slick vouait un culte à "Sketches of Spain" de Miles), morceau épique dont seule la fin permettra aux amoureux de l'Airplane d'identifier des sonorités familières.

Les autres morceaux sont déconnectés de ce schéma, co-composés le plus souvent par David Freiberg. Indigestes aujourd'hui, ils annoncent le lourdingue Starship, où seule la guitare de Craig Chaquico, adolescent au jeu lumineux (à écouter chez Jack Traylor, et aujourd'hui perdu, recyclé new age) garde une hauteur. Pour les autres, autant "It's only music" (auquel Slick ne participe même pas) que "Epic #38", décoré d'un bagpipe complet de cornemuses, lassent très vite.