Breaking God's heart

Hefner

par Vincent Théval le 23/02/2002

Note: 10.0    
Morceaux qui Tuent
The sad witch
Love will destroy us in the end
God is on my side


Celui qui s'est surnaturellement tenu au courant de l'actualité souterraine de la pop anglaise en 1997 a probablement repéré les petits quarante-cinq tours de couleur vive distillés par un groupe qu'on dit alors écossais. D'écossais, Hefner n'a en fait que son producteur de l'époque, Tony Doogan, également aux manettes chez Belle and Sebastian, le collectif scout de Stuart Murdoch, invité à poser sa voix sur le maxi "Hefner soul". Basé à Londres, le groupe qui enregistre "Breaking God's heart" en 1998 n'est encore qu'un trio. Anthony Harding est un batteur parfait. Il développe un jeu clair, précis, à l'aise dans tous les registres, capable de porter un morceau en imposant sa puissance sèche ou de l'accompagner en douceur. John Morrisson tient la basse. Leçon apprise chez Jonathan Richman et ses amants modernes : la simplicité est la plus belle des choses. Pas tendu, pas arrondi, pas totalement répétitif, pas tout à fait mélodique, c'est un jeu souple en constante adaptation qui illumine "God is on my side", sorte d'assouplissant entre une batterie sèche et une guitare mordante. Ces deux là forment la meilleure section rythmique de l'Ouest, comme en témoigne l'extraordinaire dépouillement de "Eloping" où batterie et basse s'affrontent seules pendant la première partie du morceau. Darren Hayman écrit toutes les chansons d'Hefner, chante, joue de la guitare, dessine les pochettes et en écrit les notes. A l'occasion, Darren est son propre roadie. On apprend à apprécier sa voix, qui sait être douce et posée mais souvent dérape complètement et témoigne d'une fureur juvénile réjouissante. Son jeu de guitare est incroyable : un son plein et généreux, à vous hérisser les poils des bras durant les quatre minutes de pure folie de "Love will destroy us in the end". Darren a au moins deux idoles. A fréquenter assidûment les disques de Jonathan Richman, s'est imposée l'idée que le trio guitare/basse/batterie est un moteur à explosion unique, une source inépuisable d'énergie et de vitalité, un format qui se plie à toutes les subtilités d'une écriture par ailleurs franche et intelligente. Mais la référence ultime, ce sont les Beach Boys, soit à l'échelle bricolo-indé d'Hefner un sens inné des mélodies, une science miraculeuse des arrangements, un goût prononcé pour les harmonies vocales (punk, les harmonies). Meilleur exemple : "The Librarian", déchirante ballade bercée par un harmonica, où Anthony chante magnifiquement quelques phrases qu'on jurerait sorties de la bouche de Mike Love, tandis que John vocalise d'une manière incongrue. "The Librarian" narre l'histoire tragi-comique d'un jeune homme enamouré d'une bibliothécaire. Pour la voir, il fréquente assidûment la bibliothèque. Pour l'impressionner, il emprunte des livres bien trop compliqués pour lui. Les textes mériteraient à eux seuls une dizaine de feuillets. Darren Hayman est sans doute aujourd'hui le plus grand parolier du Vieux Continent, l'égal d'un Ray Davies, d'un Elvis Costello. Elans contrariés d'un cœur d'artichaut, émois sexuels, radiographie des relations humaines, sans oublier les fondamentaux : cigarettes et alcool, autant de thèmes chers à la musique pop évoqués avec humour et mordant sur ces dix morceaux impeccables. Naturellement, ce disque est un classique.