Doctor's oven

Hell's Kitchen

par Chtif le 15/08/2006

Note: 8.0    
Morceaux qui Tuent
Unfair


On connaissait déjà le blues des champs de coton, voici celui des batteries de cuisine. Tartiné à la pelle de chantier, gratiné dans le vieux four de "Chez Dédé", le blues des Hell's Kitchen est suisse, mais chante la Louisiane comme s'il y était né. Au diable les impros qui partent en solos de boudin, Hell's Kitchen ne garde que l'essentiel : une contre-bassine, un bottleneck, et le rythme, irrésistible, qui fait s'exciter les doigts de pied sur le bois de la bicoque et s'affûter l'oeil en quête d'instrument à martyriser. Nos trois Suisses ne s'en privent pas et rien ne leur échappe. Il faut les voir traquer le moindre bout de ferraille biscornue, casserole, machine à laver, tournevis ou planche à linge... Ca doit être un TOC chez eux, il faut qu'ils cognent. Et le plus étonnant, c'est que rien ne vire à la cacophonie. Ils cognent sur tout ce qui traîne à portée de main, et ce bric à brac sonore devient soudain cohérent, chaque élément trouvant sa place au sein d'une architecture brinquebalante, que ce soient les grillons métalliques de "My house" (qui invitent au farniente pendant que la baraque crame à côté), ou le piano hystérique de "Misery".

Il faut dire aussi que Hell's Kitchen n'en est pas à son coup d'essai, et que derrière ces timbrés du capharnaüm organisé se dissimulent trois fines lames complètement respectueuses du blues originel. Côté instruments, pas de doute, le trio genevois connaît son Robert Johnson et son Pete Seeger sur le bout des doigts. Les parties de slide sont crasseuses comme il se doit, façon Black Keys ("Nice"), et le son d'ensemble brut et déglingué évoque irrémédiablement un Tom Waits bien imbibé. Le chant de Bernard Monney, point sensible de ce genre
d'albums, est assuré avec efficacité, pas vraiment identifiable mais plutôt malléable au besoin de chaque morceau.

Les compos de "Doctor's oven", leur deuxième album, peuvent inviter aux pérégrinations campagnardes à la "O' brother", à 'image de la paisible "Dance machine". Mais l'on s'écarte souvent du chemin balisé : "Jack is a writer" plonge l'auditeur au coeur d'une usine sidérurgique en plein dégazage sous pression, le genre de machineries fumantes parmi lesquelles Mark Lanegan traîne ses guêtres à l'occasion. De son côté, "Lumfo" balance les incantations vaudous d'une bande d'indiens zarbis en plein trip gospel. Saisissant.

Mais au sommet de l'échaffaudage se dresse "Unfair". Sur une mélodie infiniment douce, Monney hulule et s'étrangle par à-coups, puis s'emballe avant que le violon ne vienne relayer sa plainte en l'apaisant. C'est une ballade aux contours très classiques, en réalité plutôt décalée et inattendue (quelque part entre Louise Attaque et "RV" de Faith No More, si possible), presque comique et en même temps pleine de soul résignée. Dans un monde idéal, on ne serait pas loin du tube. Enfin, du tube, du carton... tout ce que vous voulez, tant qu'on peut taper dessus.