Biomekano

Information

par Hugo Catherine le 11/09/2004

Note: 10.0    

Ce troisième album de deux vieux briscards norvégiens de l’ambient electronica s’installe sur les cimes du design sonore. Les nappes de basses ronflantes enveloppent de petits éboulis d’éclats électroniques : le son est tout rond, tout bon. Les pistes sont d’une délicatesse absolue, proche de ce qui se fait de mieux du côté de la tek minimaliste ou de l’electronica épurée la plus allemande. Information érige le fond sonore en un premier-plan subtil.

Le duo d’électroniciens ouvre un espace intensément arctique. Au bout de notre écoute, il ne subsiste aucun doute de l’effectivité de notre expérience en milieu naturel extrême aux frontières de l’artificiel. Les sons sont comme étouffés, filtrés ; il en ressort une puissance d’étouffement, de compression : leur musique parcourt un territoire empli de micro-pulsations d’une profondeur biosphérique. La recomposition d’éléments physico-chimiques est permanente. Des gouttes d’eau dégoulinent, des vapes gazeuses s’échappent, des ondes spatiales se propagent et Information zoome délicieusement sur les tenants et les aboutissants sonores de ces micro-événements.

Le minimalisme naturaliste ambiant est parcouru de bruits plus industriels : mécanismes machinistes, dépressieurisation interne, tuyaux en branle… Ce métallisme trans-minéraliste, si transparent dans le titre-même de l’album – Biomekano -, est particulièrement planant dans Tropical Investigation (Leisure Recycled) où les infra-basses nous escortent jusqu’à une rupture mélodique répétitive soutenue par des clicks à la fois si discrets et indispensables.

Tout cela se brouille, sonne, éclate, pétille, pustule dans une luminosité noire, dans une harmonie sourde. Cette musique appelle à la création ; elle pourrait être un délicieux substrat à tout ce que l’ingéniosité musicale tend à produire : matériau à remix, bande sonore d’ingénieurs, de designers, de vidéastes ou d’électro-laborantins de tout bord. Pourtant, nous n’y toucherions pour rien au monde. Nous nous empresserions bien plutôt d’investir dans un système-son de meilleure qualité pour ne pas en taire une seule des modulations.

Biomekano nourrit un minimalisme plein où rien ne manque, de telle sorte que les morceaux semblent voltiger d’eux-mêmes ; les créateurs donnent l’impression de ne plus avoir prise sur ces éléments organiques qui s’auto génèrent et s’étiolent lentement. Les sons sont subtils, aboutis et pourtant ils se déploient comme par accident. Le pur agencement sonore de cet album touche à la profondeur de l’âme de l’abstraction : naturellement géométrique, géométriquement impair, imparablement jouissif.