Au moment d'être à vous

Isabelle Boulay

par Alban Simonnet le 31/01/2003

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Monopolis
C’était l’hiver
Et maintenant


La tentation était forte de ne voir qu'en cette nouvelle découverte d'outre atlantique, une énième chanteuse de chansons cons à voix, une braillarde à cheveux roux, comme si les producteurs québécois avaient craint que nous la confondions avec une autre. Mais voilà. De concerts en plateaux de télévisions, elle a finalement fini par captiver en surprenant autant par la multitude de ses références que par l’émotion de son chant. C'est avant tout par une présentation originale et somptueuse (l’intimité d’une enveloppe de papier glacé) que l’on découvre "Au moment d'être à vous", sixième album d'Isabelle Boulay (et deuxième live), se définissant elle-même comme "chanteuse populaire". Le livret, toujours aussi bien illustré, a le mérite de reprendre l’intégralité des textes, accompagnée d’une dédicace et de notes manuscrites. Le disque est un mélange de deux spectacles, Palais des Congrès de Paris et salle Wilfried-Pelletier de Montréal en mars et avril 2002, tous deux avec l'Orchestre Symphonique de Montréal. Isabelle Boulay y entreprend un hommage à quelques unes des grandes chansons françaises, étoffé de morceaux de son répertoire personnel. Dès les premières notes, le voile de l'esthétisme trop travaillé perçu lors du précédent album studio "Mieux qu'ici bas" s'envole, comme emporté par la simplicité (piano et voix) de l’interprétation. Les auteurs se succèdent, chacun apportant son univers, et IB passe aisément de la profondeur de Léo Ferré, “Avec le temps”, au populaire “Monopolis” (déjà interprété lors de la tournée française de Starmania, de 1995 à 1998, dans le rôle de Marie Jeanne). Pensant à son père, elle interprète le bouleversant “Ma fille” de Serge Reggiani. “Mieux qu’ici bas” est un peu fade, d’autant plus que le suivant, “Perce les nuages”, du chanteur québécois Paul Daraîche, reste assez fort en émotion, même avec des arrangements hasardeux. IB précise qu’il y aura toujours une place pour une reprise de Francis Cabrel. Elle prête sa voix à deux : “Répondez moi”, qui allie force et subtilité, et “C‘était l‘hiver” déjà présent sur l’album “Etats d’amour” (et également sur le live “Scènes d’amour” en duo avec son auteur). Quatre titres récents de son répertoire personnel, signés par les M'as-tu-vu Luc Plamandon / Richard Cocciante, Jimmy Kapler, et Patrick Bruel, suivent, en gagnant en consistance en versions scéniques. Le cœur attendri et l’oreille attisée, on est prêt pour le crescendo d’émotion (comme on dit chez Drucker) : “Non, je ne regrette rien” de Piaf, “La mamma” d’Aznavour, “Et maintenant” de Bécaud et “Amsterdam” de Brel. Ouf ! Que du gros et du sans risque côté paroles et musiques... Si elle parvient tout juste à se détacher de l’interprétation originale sur les deux premières, IB elle donne un souffle nouveau à la chanson de Piaf et chante “La Mamma” comme un réalisateur italien conterait la Méditerranée. “Et maintenant” avait été l’occasion d’un duo avec Bécaud, peu de temps avant sa mort. Cette rencontre (probablement intimidante) et l’accompagnement symphonique, lui permettent aujourd’hui d’exprimer toute la force de cette grande chanson. Le souffle est coupé. Présents dans la salle, on aurait nous aussi demandé un rappel. Avec “Amsterdam” chanté a capella, IB prouve son talent d’interprète, laissant la beauté du texte se suffire à elle-même et se passer d’accompagnement. “Sans toi”, dernier titre inédit de Jimmy Kapler et F Kocourek n’a pas sa place ici, trop différent, pas assez riche. Excellente interprète de textes séduisants, Isabelle Boulay brille et tient chaleureusement compagnie dans l’écoute du temps qui passe. A maintes reprises, elle réussit à s’effacer derrière l'univers de la chanson qu'elle interprète, son album réchauffe les moments de quiétude et sait également faire frissonner.