Mingus spirit

Jacques Vidal

par Sophie Chambon le 26/04/2007

Note: 9.0    

Comme son titre l'indique, "Mingus spirit" est un hommage très réussi du contrebassiste Jacques Vidal au maître de l'instrument en jazz, le grand Charles Mingus. Sans se vouloir disque de reprises ou travail de mémoire, à l'instar de certaines formations américaines, promues par sa veuve - Sue Mingus se dévoue depuis la mort de son mari en 1979 à entretenir la flamme via son propre label et trois formations qui célèbrent l'œuvre du contrebassiste - cet album se porte néanmoins garant de l'héritage du musicien américain.

Jacques Vidal s'en explique dans les notes de pochette, fort bien conçues, au demeurant. C'est autour d'une composition qui a pris le titre de "Mingus spirit" parce qu'elle évoquait furieusement pour lui l'influence du musicien que s'est construit l'album éponyme. Composée et arrangée avec beaucoup d'intelligence, écrite en toute indépendance, la musique de Jacques Vidal est de plus, servie par une pleïade de musiciens exceptionnels qui savent rendre la belle énergie, les puissantes vibrations, le talent qui irriguaient les œuvres de ce délirant personnage qui se considérait "Moins qu'un chien".

Véritable homme orchestre et vrai chef de meute, Mingus a écrit sa musique en marge des principaux courants de son époque : elle est ainsi restée universelle, intemporelle, entre blues, gospel, jazz (même s'il n'aimait guère le terme ) et bop.
C'est exactement ce que l'on ressent à l'écoute du septet de Jacques Vidal : on avance sur le territoire du jazz, sans avant-gardisme tendance, mais on l'aura compris aussi, sans volonté de "revivalisme", on se laisse mener par des improvisations heureuses, souvent collectives, ayant pour maître-mot swing et panache. Les masses orchestrales parfaitement cuivrées et rutilantes sonnent à une cadence des plus vives, de valse ("La valse du clown") en ballade aussi soyeuses que fougueuses. L' improvisation collective ne malmène pas trop le travail soigné de composition, car Jacques Vidal ne recherche pas de façon impulsive (comme son modèle) à mettre en scène un certain désordre.

Après son dernier "Sans Issue", Jacques Vidal est resté fidèle à la formule du septet qu'il élargit même (Daniel Zimmermann, Pierrick Pedron et Eddie Henderson qui lui fit l'amitié de traverser l'Atlantique pour l'enregistrement). Les complices qu'il retrouve avec plaisir sont Simon Goubert à la batterie, Manuel Rocheman, discrètement efficace sauf peut-être dans le bouillonnant "Niyragongo", et l'ami de toujours, le guitariste Frédéric Sylvestre, qui intervient de façon plus décisive sur "Just bebop" ou "Blues for Charles" ajoutant les timbres chatoyants de la six cordes. Le contrebassiste-compositeur ne se taille jamais la part du lion, excepté dans "Epilogue" où son chant épuré résonne enfin quand il se joint à la voix d'Isabelle Carpentier.

Les soufflants, eux, s'en donnent à coeur joie tout au long de l'album : les espiègles mais aussi sensuels trombonistes Daniel Zimmermann et Glenn Ferris, le ténor Eric Barret dans le fougueux et sauvage "Interlude II" en la seule compagnie du cher Simon Goubert, vrai batteur de jazz, Pierrick Pedron, souverain à l'alto dans la suave "Mingus Serenade", ou encore le génial Eddie Henderson à la trompette, inspiré dans le virevoltant morceau-titre, ou le délicat "Funambule".

Vous l'aurez compris, ce "Mingus spirit" a toutes les qualités pour séduire l'amateur, et constitue à l'évidence, une belle réussite. On ira même plus loin, voici un album vibrant que tous ceux qui aiment le jazz doivent écouter rapidement.