Led Zeppelin - Le règne des seigneurs

Jean-Marie Vandersmissen

par Francois Branchon le 05/01/2006

Note: 8.0    

Jean-Marie Vandersmissen, journaliste belge très documenté, décortique les années soixante anglaises, l'importance du blues et du jazz, même après la déferlante Beatles, l'effervescence des innombrables clubs (heureux pays), l'ébullition qu'apportèrent tous les jeunes types de 15 ans avides d'imiter les américains et de briller à leur tour, apprenant à jouer, montant des groupes, se frayant un chemin sur les scènes, à l'image des quatre Zep, déjà sur les planches encore gamins.

Page après page, les pièces de l'échiquier Led Zep se mettent en place, les groupes jazz du pion Bonham, les combos blues de Plant, les confortables studios de jazz établi pour le pistonné Baldwin (Jones, dont le père est musicien reconnu), les studios rock pour Page. Un Page véritable homme à tout faire, passant sa vie à la guitare ou à l'harmonica derrière tout le monde et n'importe qui : Donovan, Johnny Hallyday, Joe Cocker, Dick Rivers, Them, Michel Polnareff, les Kinks, les Rolling Stones, Dusty Springfield, etc...etc... Les chemins respectifs, parfois croisés, mènent finalement à une répétition des quatre pour la première fois ensemble dans un appartement londonien au début 68. Objet : sauver la fin d'une tournée des Yardbirds tout juste explosés en vol, manager Georgio Gomelski compris. Charnière.

Jean-Marie Vandersmissen poursuit par une description factuelle et chronologique de la carrière, la conception et le contexte de chaque album, les tournées, presque au jour le jour.
Son évidente conviction d'avoir affaire au plus grand groupe de tous les temps est parfois un peu gênante, "le public n’est pas conscient de l’ampleur de son privilège" commente-t-il à propos de l’accueil mitigé d’un concert à Belfast en 1971… "Led Zep a humilié Iron Butterfly à New York en première partie de ceux-ci", quelle victoire !...

Mais le travail scrupuleux de Vandersmissen a l’intérêt de lever le rideau pour la première fois sur le type des coulisses, Peter Grant, homme d'affaires sans grand scrupule qui va vite piger le potentiel, prendre des risques et faire de "son" Led Zep la chose phénomène des 70's. Ce n’est pas faire insulte à Page & Co de remarquer que leur talent de musiciens et leur impressionnante puissance scénique n’auraient pas suffi pour bâtir une telle machine à dollars, remarquablement bien conçue et huilée, dont le bouquin décrit minutieusement tous les détails. Mais on en vient à se demander s’ils n’en furent pas simplement les rouages, certes vitaux, mais rouages tout de même.

Au mépris du contrat signé avec Epic (Page est encore un "Yardbirds") et dédaignant l'Angleterre (trop "petite"), Peter Grant veut l’Amérique. Il part signer à New York directement avec Ahmet Ertegun, le boss d'Atlantic, maison qui jusque là reléguait le rock sur sa sous-marque Atco. Grant et Ertegun choisissent les titres du premier album, décident d’une tournée immédiate de toutes les grandes villes américaines, engagent le meilleur tourneur… Led Zeppelin, au marketing pensé, est formaté pour le marché américain. Et avec les moyens, ça marche.

Grant n'aura plus qu'une obsession : le maintien du statut, la première place des charts. Les tournées ne sont pas faites pour faire plaisir aux fans ou au groupe, mais pour "occuper la place" et rapporter de l’argent : le Japon, l’Asie en général et l’Australie ne seront visités qu’une fois, pas assez rentables, le premier concert en Italie tourne mal, ils n’y remettront plus les pieds, le Palais des Sports de Lyon est jugé trop "effervescent" et la France "trop risquée" ne sera plus survolée par le Zeppelin que du ciel... A l’apogée de sa carrière en 1972, Grant négocie ses concerts à 90/10 (on comprend les prix des places). Mais Grant se montre aussi parfois : obnubilé par les bootlegs, il adore arpenter le public lors des concerts pour traquer l’enregistreur pirate et lui casser le gueule. Avec d'ironiques méprises : en 1971 au Canada, il pulvérise de rage 2500 dollars de matériel et deux mâchoires avec. Les fonctionnaires fédéraux des contrôles sonores en visite de routine s’en souviennent encore. Sacré Peter !

Pour verrouiller les droits, il crée les éditions Superhype, pour des morceaux super à l’abri. Mais sur ce sujet, on va s’arrêter un instant. Vous connaissez la différence fondamentale entre le rugby et le foot ? Au rugby, lorsque l’équipe qui vous visite a des couleurs semblables aux vôtres, par courtoisie vous changez votre maillot. Au foot le visiteur part se changer... Page et Grant doivent adorer le foot !

Beaucoup de groupes anglais doivent aux bluesmen noirs américains. Les Stones les premiers, qui ont systématiquement renvoyé l'ascenseur en les prenant en première partie (et Keith Richards joue encore dans le dernier Buddy Guy), Peter Green et son Fleetwood Mac ont enregistré des albums avec et pour eux à Chicago, comme Eric Burdon avec Jimmy Witherspoon, John Mayall les a toujours honoré. Led Zeppelin lui, s'est contenté de reprendre leurs morceaux sans même les créditer (ou très peu). Ce n'est plus un mystère que bon nombre de titres ont été "empruntés", arrangés (magnifiquement) à la sauce Led Zep, agrémentés de paroles signées Plant, les titres changés* et finalement déposés sans scrupule à leurs noms.
Sur ce point Vandersmissen se disqualifie à vouloir justifier l'injustifiable. Certes il aborde la question, mais pour s’en offusquer ("les mauvaises langues disent...", "les prétendus puristes...", "vagues rapprochements...", "allégations futiles...", "pitoyable polémique..."). Il devrait à l'honnêteté de signaler qu'une poignée de procès ont été intentés et que tous ont obligé Led Zeppelin à rétablir la vérité et mentionner les compositeurs originaux.


Le temps de ses trois premiers albums, j’ai beaucoup aimé Led Zeppelin, groupe revendiqué aujourd'hui par les amateurs de métal, groupe "du" hard mais pas groupe "de" hard. A partir de "Led Zeppelin IV", ils m’ont soûlé, les hurlements de drag-queen hystérique de Robert Plant... Jimmy Page trop rusé pour être honnête... la Gibson double manche un peu trop prog… Cette biographie (hagiographie) voulant magnifier LE groupe de rock a finalement les qualités de ses défauts, révélant les tenants et les aboutissants, l'envers du décor, "le côté obscur de la force".


NB * "Dazed and confused" fut emprunté à Jake Holmes et initialement appelé "I'm confused". Depuis, le titre original et les crédits ont été rétablis. Sur l'excellent site de notre ami belge Pierre-Yves (lien ci-contre), vous pourrez écouter les 19 originaux "litigieux" (rubrique "downloads") et vous faire votre idée.