Qui poussa en 1968 Jimi Hendrix à
s'embarquer dans un double album ? Et le voulait-il vraiment ? Chas
Chandler, son manager-producteur, celui qui l'avait cadré sur des
formats imposés de trois minutes pour les deux premiers albums,
fatigué des multiples problèmes de dope de son poulain jette
l'éponge dès le début des sessions et le laisse seul à son sort.
Hendrix va s'affranchir des contraintes, et se laisser aller, chien
fou en liberté. Alors, lorsque parut le double vinyle, nous fumes
nombreux à être déroutés, car le Jimi qu'on connaissait (qu'on
aimait), le guitariste, s'y effaçait (souvent) derrière un Jimi
explorateur (bruiteur), "... And the Gods made love", ou
longuement jammeur, "Voodoo chile". Déroutés, et aussi
frustrés, de l'absence de cette densité mélodique permanente dont débordaient
"Are you experienced" et "Axis bold as love" et
de la parcimonie avec laquelle Hendrix se livrait à la guitare, sans
être nécessairement séduits par toutes les innovations de studio
(bandes à l'envers) et de sons (phasings en tous genres) dont
regorgeaient les quatre faces, à moins d'être sous influence de son
fournisseur préféré de pilules.
Quarante ans plus tard,
"Electric ladyland" peine toujours à supporter une écoute
complète, et lorsque c'est le cas, n'incite pas franchement à
recommencer au début. Il y a bien sûr les grands morceaux,
"Gypsy eyes", "Crosstown traffic", "Voodoo
child (slight return)", "Burning of the midnight lamp"
(très 1967), "1983... a merman i should turn to be", la
démonstration de wah-wah de "Still raining, still dreaming"
(la guitare PARLE!) et l'immense "All along the
watchtower", reprise transfigurée de Bob Dylan... mais que
penser de la médiocre reprise "Come on - let the good times
roll" de Earl King, du très faiblard "Little miss Strange"
signée Noel Redding ou de ces (longs) morceaux jammés en studio !
Bien sûr, ils laissent Hendrix s'envoler parfois dans de doux
délires, proche parfois de l'Albert King de "Tupelo" dans
ce "Voodoo chile", où Stevie Winwood à l'orgue Hammond
(alors leader du tout jeune Traffic) et Jack Casady à la basse
(poutre porteuse du Jefferson Airplane) le complètent admirablement,
mais morceaux livrés à eux-mêmes sans vraiment de ligne
directrice, ils nous laissent aujourd'hui encore - à jeun - nous
emmerder ferme...
1968 et sa marotte des double albums (vendus
plus chers) ne pouvait épargner Hendrix. Encensé par les uns comme
son sommet absolu, délaissé par les autres, "Electric Ladyland"
aurait pu, ramassé en deux faces, être un album
aussi dense et bouleversant que ses deux prédécesseurs.
Cette
réédition sous pochette américaine (on n'est pas près de revoir
la pochette anglaise à regarder ci-dessous) est la plus complète
possible, un son parfait, un livret conséquent, avec notamment les
fac similés des notes de pochette écrites de la main d'Hendrix et
son orthographe écorchée du nom de Jack Casady, toujours reproduite
au fil des rééditions et enfin corrigée (l'erreur venait donc du
maître), doublée d'un DVD sur le making-of de l'album.
JIMI HENDRIX EXPERIENCE All along the watchtower (Vidéo originale 1968)