Black acetate

John Cale

par Jean Daniel Mohier le 13/12/2005

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
Gravel drive


Qu'attend-on d'un disque rock ? Beaucoup de choses. Qu'il donne envie de bouger, de crier, de danser, d'écouter, de réfléchir, de rebouger etc. Certains attendent même qu'un disque rock change leur vie. Ou peut-être le décrètent-ils… Quoi qu'il en soit, le nouvel album de John Cale donnera peut-être du fil à retordre, au début, mais beaucoup de plaisir si on sait s'y alanguir, s'y laisser aller.

Alors, que trouve-t-on sur cet acétate noir ? Treize morceaux bien sentis, dont le premier saisit d'entrée : "Outta the bag" laisse Cale jouer à la perfection avec les aigus de sa voix (plus éraillés qu'avant mais si reconnaissables). Le riff est de ceux qui restent dans la tête toute une journée et Cale laisse le chat sortir du sac. Il ne le rattrapera que douze morceaux plus tard, avec l'aide du facteur. Puis, "For a ride" vire beaucoup plus dirty rock dans son intro et dans son riff saturé, avec une subtilité (et c'est cela qui caractérise Cale le plus souvent) qui s'insinue pourtant partout. Cale reprend des intonations vocales plus classiques et réussit là un tour de force quasi-velvetien. "Brother man", plus expérimental, est un ton en dessous et sans doute le seul titre faible du disque. Mais Cale se rattrape vite avec "Satisfied", qui commence, comme "Sunday morning", par quelques notes de métallophone qui ponctueront le titre d'un bout à l'autre. Atmosphère nostalgique et enfantine en même temps bercée de distorsions aussi aquatiques qu'amniotiques. Sur la chanson suivante, c'est tout l'inverse, Cale est littéralement sous le déluge ("In a flood") et paraît vieux, voix éraillée de cow-boy Marlboro (lui qui interdit qu'on fume pendant ses concerts) qui en a vu d'autres. Lignes de guitares électriques aux vagues échos de celles d'un Ry Cooder en plein "Paris Texas"... Puis "Hush" dérange les tympans avec un petit riff façon sampling de chez Bontempi... ça chatouille, ça démange, "Hush !" ("Chut !"), et des chœurs féminins langoureux pour marquer le groove, jusqu'à ce que l'alto du maître décoche sans prévenir une ligne ici ou là au deux tiers de la chanson.

"Gravel drive" est le pivot du disque. Une ligne de guitare légèrement saturée qui fait penser une nouvelle fois à "Sunday morning", "I'll be your mirror" ou plutôt, si l'on veut être honnête, au "Pale blue eyes" d'un certain Lou Reed. Ce n'est sûrement pas un hasard si le titre est placée en septième position d'un disque qui en compte treize. Elle est, ni plus ni moins, la respiration de l'album. Son moment le plus intime aussi, un petit chef d'œuvre de douceur qui cherche le remords en chacun, qui vrille vers les zones où les restes de l'amour lèchent leurs plaies en attendant une demain toujours remis à plus tard. "Perfect" retrouve une rage adolescente avec guitare crade et voix bouffée par les saturations et solo déglingué wah-wah. "Sold-motel" mélange le meilleur de "Outta the bag" et de "Perfect". Un "hou-hou hou-hou" très "Sympathy for the devil", un riff de guitare très basique et des moments bien amenés beaucoup plus subtils et moins évidents que ce à quoi l'on aurait pu s'attendre en font un des meilleurs morceaux du disque. "Woman", quant à lui, est un pur bijou de cynisme contre le cool, le hype... et une femme... du passé. Le tout presque chuchoté, sans doute parce qu'on prête plus l'oreille à celui qui susurre qu'à celui qui hurle. Bien vu. "Wasteland" est presque pop, fait penser à David Bowie, les notes de piano à la Mike Garson y sont pour beaucoup sans doute. On se dit que si Cale avait eu le don de faire de la musique commerciale et sortit quelques tubes, il serait un peu le pendant du roi David... ne reprennent-ils pas tous les deux "Pablo Picasso" de Jonathan Richman ? Chacun à sa façon d'ailleurs, à cette différence près que Bowie ne la reprend que depuis 2003 tandis que Cale la joue depuis 1977 (et était le producteur de l’original)... "Turn the lights on" est un bon titre rock qui tache. Cale s'égosille "Turn the lights on !!!" sur un riff digne des Smashing Pumpkins.

"Mailman (the lying song)" clôt l'album en beauté. Il laisse la part belle à la voix de Cale et mélange, une nouvelle fois diverses influences. C'est une chanson stratifiée, en couches successives, tout en calques avec un riff et des chœurs à base de "Oh yeah !" qui tournent en boucle. Ça donne l'impression de partir dans tous les sens et ça se rattrape toujours miraculeusement quelque part. Un chef d'œuvre de production et de mixage. Et une petite distorsion guitaristico-vocale pour finir. Un des meilleurs albums de l'année. Haut la main.