Inside the dream syndicate vol 1: Day of Niagara

John Cale & Tony Conrad & La Monte Young

par Frédéric Joussemet le 13/01/2001

Note: 10.0    

Cette fine rondelle de plastique merveilleusement percée en son centre ressemble à s'y méprendre à un banal Cd. Il en a la texture, l'absence d'odeur et (on peut le supposer) de goût. C'est une très bonne imitation, car en fait il n'en est rien. Il suffit de l'écouter pour s'en rendre compte. Mais d'abord un peu d'histoire : La Monte Young est un multi-instrumentiste et compositeur d'avant-garde américain. Après avoir surtout joué du jazz et du blues dans les années cinquante, il s'oriente vers des compositions expérimentales ("Trio for strings" 1960). Un peu plus tard, de 1962 à 1965, La Monte Young fonde et dirige le Dream Syndicate, groupe d'expérimentation musicale et de chimie psychédélique, avec lui et la chanteuse Marian Zazeela au chant, John Cale (qui fondera plus tard le Velvet Underground) au violon alto monté avec des cordes de guitare électrique, Tony Conrad (futur fondateur des sévères Faust) au deuxième alto et Angus Maclise aux percussions. Leurs improvisations en studio passent pour la pierre angulaire de l'ambient et du mouvement minimaliste, leur big bang originel. "Day of Niagara", premier volet de cette oeuvre, que John Cale qualifie de "travail d'amour", d'une alliance entre "la puissance et la majesté", fait partie des créations de cette association de musiciens franchement barrés et suffisamment ouverts pour vouloir créer une "musique perpétuelle", le grand concept de La Monte Young. Faite de longues notes soutenues et totalement dépourvue de mélodie, l'oeuvre de trente minutes et cinquante-quatre secondes laisse paralysé et sans voix. Les deux instruments à cordes tiennent chacun une note, tout du long, en en jouant parfois une autre sans jamais lâcher la première. Enfin, au lieu de "jouées", mieux vaudrait dire "grincées". Car l'archet érafle lentement, patiemment, consciencieusement les cordes, arrache des sons lancinants autant que crissants. Les autres instruments ne sont là qu'en soutien : aucun rythme ni parole ne vient briser cet équilibre. Une voix se met de temps en temps à l'unisson, un coup est porté ressemblant plus à un objet qui tombe qu'à une percussion. A première vue les nuances sont mineures, mais il n'en est rien. Chaque variation prend peu à peu toute son ampleur, les changements de son, de timbre, de grincement occupent l'espace et l'esprit au fur et à mesure que le morceau se déroule. Elle emplit la conscience, obsède, captive... à condition d'être patient et de rien attendre de la première écoute, une musique un peu conceptuelle exigeant un apprentissage, et visiblement cette musique là ne l'est pas qu'un peu ! Non, ce n'est pas un banal Cd, c'est une idée enivrante et dérangeante, vive, tranchante, qui demande beaucoup mais donne autant.