Rock'n'roll

John Lennon

par Francois Branchon le 29/11/2004

Note: 8.0    

En 1963 une réalité à fronts renversés nous vendait une rivalité/opposition de styles entre de soi-disant mauvais garçons (Rolling Stones) et quatre petits gars bien proprets (Beatles). Or, peu de temps auparavant, même si les bien éduqués étudiants londoniens Jagger et Richards choquaient leur milieu en vénérant des nègres (les bluesmen américains dont ils allaient reprendre les standards), les loubards Lennon et McCartney tapaient la baston dans les ruelles de Liverpool. Ne pas s'étonner donc que les Beatles des débuts aient eu jusqu'en 65 et "Help" un répertoire truffé de rock'n'roll pur et dur, repris à des Little Richard, Lieber & Stoller, Carl Perkins ou Chuck Berry.

La parution en 1975 de "Rock'n'roll" allait donc de soi, Lennon payait son tribut, rendait hommage à ses idoles, avec un album entier de reprises, de rock'n'roll (Gene Vincent, Chuck Berry, Fats Domino, Buddy Holly...) et de rhythm'n'blues (Sam Cooke, Lee Dorsey, Lloyd Price...). Empaqueté par le producteur et spécialiste en murs Phil Spector, la chose promettait d'être culte avant même sa sortie. La réalité est moins simple.

Commencées en 1973, les sessions au studio Record Plant de Los Angeles avaient été bordéliques, Spector patientant presque un an avant de rendre les bandes à un Lennon le plus souvent bourré ou shooté et qui, hormis des vocaux parfaits, n'avait été capable que d'agiter quelques tambourins contre le "mur". Et c'est avec Steve Cropper (l'immense guitariste de chez Booker T.) et certains des musiciens en studio pour son album "Wall and bridges" - Klaus Voormann (basse), Jim Keltner (batterie), Jesse Ed Davis (les guitares acoustiques chez Steve Miller) et Bobby Keys (cuivres) - que Lennon réenregistre tout au Record Plant de New York. L'album qui parait en 1975, appelé malgré tout "le Lennon/Spector", ne comporte plus que quatre titres sur ses treize dus à la patte du producteur. Pour compliquer le tout, Lennon, alors en procès avec les éditeurs de Chuck Berry (pour "Come together" plagiant "You can't catch me"), avait dû accepter comme règlement du différend d'inclure trois de leurs titres dans sa liste de morceaux, dont l'objet du litige.

Les rugbymen français ont adopté le coq comme mascotte car c'est le seul animal qui chante les pieds dans la merde. Lennon aurait dû être trois-quarts centre chez les Bleus ! "Rock'n'roll" est un objet mal né dans des circonstances et un contexte qui le promettaient au désastre et c'est pourtant une démonstration, de pêche et surtout de chant. Depuis 1963 et "Twist and shout", Lennon avait fait la démonstration que chanter le rock était "son" truc et que si les Beatles avaient des tripes, elles lui revenaient de droit. Qui parmi les voix blanches, à part John Fogerty, peut prétendre rivaliser ? Monté sur ressorts ("Be-bop-a-lula"), à la limite de l'étranglement ("Stand by me", "Just because"), en rage et sueur ("Rip it up"), suppliant ("Do you wanna dance"), les amygdales arrachées ("You can't catch me", le foisonnant "Sweet little sixteen") ou charmeur catchy en hommage le plus fidèle à l'original ("Peggie Sue" de Buddy Holly), Lennon s'impose. La remastérisation de cette réédition booste les morceaux, en apportant une clarté parfois bienvenue dans le foisonnement des instruments, sans que jamais la voix n'y perde au change, bien au contraire. Lennon plane, Lennon maîtrise. Les quatre bonus "offerts" par madame Veuve sont en partie dispensables - alternate de "Just because", la jam "Since my baby left me", "Angel baby" - sauf l'inédit de taille, "To know her is to love her". A l'origine intitulé "To know him is to love him", le premier morceau enregistré par Spector avec les Teddy Bears avait déjà été repris par les Beatles, pour un show à la BBC en 1963. Lennon l'emporte ici très haut, dans des vagues de réverb.