| | | par Jérôme Florio le 30/09/2003
| Morceaux qui Tuent Door to door salesmen
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| "Tender bruises and scars" est l'anthologie des enregistrements de Kevin Hewick entre 1980 et 1983, pour Factory puis Cherry Red. Pour Factory !? Cela sonnerait presque comme une blague, tellement Hewick devait faire tache sur le catalogue, obsédé qu'il était par la littérature de Sylvia Plath et le rock'n roll fifties. Hors-mode et largué.
Pourtant, son histoire avait commencé comme celles dont on fait des légendes mineures : mort de trouille, il est accompagné pour son premier enregistrement studio par Barney Sumner, Stephen Morris et Peter Hook, ceux qui restaient de Joy Division un mois à peine après le suicide de leur chanteur Ian Curtis. De cette session, produite dans ses rêves par un Martin Hannett endormi sous la table de mixage, sortira "Haystack" : une belle chanson malade au son rêche, anémique, qui sonne comme une démo. On y entend le même clavier maigrelet que sur "Love will tear us apart". Sur "Ophelia's drinking song Cathy clown" / "He holds you tighter", premier single brillamment tissé de percussions qui bruissent et frôlent sa voix (Daniel Johnson d'A Certain Ratio produit), Kevin Hewick semble boire avidement la coupe du romantisme jusqu'à la lie. Son chant incandescent, chevauchant les trémolos et les aigus, évoque un Roy Orbison en pleine dépression nerveuse.
Sur Factory, Kevin Hewick fait du surplace : il signe chez Cherry Red, où les choses semblent bouger de manière plus rapide et professionnelle. Mais il est déjà en perdition. Production minimale pour l'album "Such hunger for love" - juste une guitare électrique, quelques claviers, une pincée de boîte à rythmes. La voix et les compositions oscillent entre fulgurances de beauté brute, pas canalisée ("Normandy"), ambitions poétiques (les allitérations de "Shells") et maniérismes agaçants. Pauvre type parti perdant d'avance, il ne prendra même pas part à la course : coincé dans sa banlieue grise de Leicester, il regarde la fille sur laquelle il a des vues s'envoyer en l'air (la moqueuse "Spain"), fantasme une relation ("At first sight"). Chanteur de soul aux abois, il angoisse sur la performance au lit ("Gibraltar", noyée dans le feedback), la peur de la paternité ("Mothers day"). En plein désarroi devant l'autre sexe auquel il ne comprend rien, il s'empêtre dans "I rap too much (elizabethan death rap)" ou "Make", cruelle et lucide, chantée a cappella ; la femme est alternativement muse, déesse, droguée, ou mère limite castratrice ("She holds him tighter"). Au milieu de ce marasme affectif et sexuel, "Door to door salesmen" est une très belle chanson sur le besoin criant et désespéré d'amour - "Such hunger for love" - : une allure de classique.
La presse anglaise, au mieux dédaigneuse, n'était pas disposée à recevoir ces chansons anguleuses donnant une image peu reluisante des relations amoureuses, montrant une masculinité en crise - et préparant peut-être le terrain à Morrissey. Le public non plus d'ailleurs : aux concerts, on jetait sur Kevin Hewick des cigarettes allumées...
Malgré le single "This cover keeps reality unreal" enregistré avec les musiciens de The Sound, la messe est dite. Pressé par sa maison de disques de faire un single "commercial", Hewick craque et s'en retourne vivre chez maman. Il végète cinq années noires, avant de reconstruire une vie équilibrée : un boulot, une femme et un enfant, puis recommence à écrire et à enregistrer des chansons, à une échelle très modeste. Aujourd'hui, il est encore très actif sur son terrain de prédilection, la scène. Il regarde toute cette période d'un air distancié et volontiers autodépréciatif, non dénué d'humour - que l'on sent pourtant un peu amer. Ce soir, Kevin Hewick joue certainement quelque part dans Leicester. |
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