La Tène... Voilà un groupe qui ressemble au
nom qu'il s'est choisi, les trois compères - les Suisses Cyril Bondi, D'Incise (Laurent Peter) et le Français Alexis Degrenier - ressemblant plus à
des Néandertaliens qu'à des bobos métro-sexuels. La Tène, du nom du dernier âge du fer, développé en Europe à l'époque ou
la démocratie athénienne était en pleine bourre (Vème
siècle avant J.C). période considérée comme apogée de la culture celtique. Le nom vient précisément du site archéologique proche de Neuchâtel où l'on a découvert ses premiers vestiges
en 1857. Ce bref rappel historique expliquerait à lui seul la
personnalité de ce trio à la solide formation musicale, tous spécialistes
d'instruments anciens et éclectiques qu'ils ont décidé
de remettre à l'honneur, la vielle à roue,
l'harmonium indien... Ils s'entourent dans cet album d'autres
spécialistes des musiques anciennes (Jacques Puech) mais aussi de
musiciens évoluant dans un univers plus contemporain comme
l'excellent Guilhem Lacroux.
Insérer ces instruments dans une composition moderne et dynamique comme a déjà pu le faire un Valentin Clastrier est une gageure.
"Abandonnée-Maléja" n'est ni plus ni moins qu'un ovni musical
construit comme une symphonie païenne à quatre mouvements qui va en laisser pantois plus d'un. Quatre morceaux d'une vingtaine de
minutes chacun - de quoi rebuter de prime abord - qui piègent l'oreille dans l'engrenage de la vielle à roue, un voyage dont on ne ressort pas indemne. Les sonorités sont indéniablement anciennes
mais la construction résolument moderne. On est proche d'une
musique répétitive, souvent en mineur, obsédante, tournoyante,
brutale mais évoluée, violente mais fine. On se retrouve téléporté
deux mille cinq cents ans en arrière au milieu de Celtes partis en guerre, psalmodiant des chants mystiques, entourés de leurs
druides et leur magie tellurique (toute anachronique que soit la
composition musicale en ces temps obscurs).
Les musiciens sont d'une précision impressionnante pour tenir pendant quatre-vingts minutes de tels rythmes
lourds et entêtants. La prouesse de La Tène et de leurs comparses
est de produire un son saturé très moderne mais toujours audible,
dans lequel on se plaît à retrouver la recherche qu'a pu
produire le Velvet Underground sur un "Venus in furs" ou
un "Sister Ray". Tous les morceaux sont d'une puissance
extraordinaire et s'il est difficile d'en sortir un du lot, on écoutera volontiers "Parade du soliat"
ou "Danse de l'orthia" (à fond dans la
caisse, le matin en partant au boulot).
Un album remarquablement
produit, en provenance du non moins remarquable label suisse Bongo Joe.