Is a woman

Lambchop

par Vincent Théval le 28/01/2002

Note: 9.0    
Morceaux qui Tuent
I can hardly spell my name
Caterpillar
Is a woman


D'abord y entrer. Le sixième album de Lambchop s'ouvre sur trois longues chansons, qui s'étirent paresseusement sur six à sept minutes. Trois chansons magnifiques et troublantes où l'âpreté mélodique contraste avec la douceur de l'instrumentation. Le piano y tient une part importante et inédite chez le collectif de Nashville. Son association à une ou deux guitares acoustiques créé un voile chaleureux et soyeux qui enveloppe une rythmique minimaliste. Au loin, un larsen de guitare, une trompette ou des chœurs féminins étoffent encore le son. Ces trois chansons impriment au disque un rythme lent comme trois respirations avant de se jeter à l'eau. C'est toujours la même chose : au début elle est un peu froide mais une fois qu'on est dedans elle est bonne. Mieux encore, c'est une source inépuisable de bonheur. Des mélodies étincelantes flottent, portées par une instrumentation dense et surprenante. Depuis huit ans, la musique de Lambchop n'a cessé de s'étoffer, de se frotter à la soul, d'en garder la sensualité chaloupée. Chaque album apporte un élément nouveau, donnant à chaque fois l'impression d'un nouvel achèvement. Après les sommets de "Nixon", hommage avoué à Curtis Mayfield et Marvin Gaye, "Is a woman" laisse à penser que Lambchop est arrivé à un point d'équilibre inimaginable, créant une musique inédite et neuve. A la rugosité country des débuts, à l'onctuosité soul des derniers efforts viennent aujourd'hui se greffer des trouvailles géniales, un travail sur le son patient et inspiré : des chœurs aériens dont l'écho nous parvient déformé sur "I can hardly spell my name", des larsens qui traversent les chansons comme des courants froids, des sons plus ou moins identifiés qui occupent l'arrière plan, façonnent des ambiances mystérieuses qui évoquent Brian Eno. Les grondements sourds de larsens rappellent aussi incontestablement Idaho, autre groupe singulier de la scène américaine, qui a su emmener rock et folk vers des contrées insoupçonnées. S'en tenir ici à une seule écoute pour jauger ce disque serait une erreur fatale. On y entendrait une production uniforme et classique, de l'ennui peut-être, alors qu'il s'agit d'un grand album expérimental, d'une finesse d'écriture exquise, interprété avec une classe détachée par Kurt Wagner, d'une voix que l'on imagine usée par la cigarette. Les étranges boucles de "Bugs", les chœurs impromptus sur "The old matchbook triek" évoquent la folie sourde qui gronde dans les films de David Lynch. Et puisque les investigations de Kurt Wagner jamais ne s'arrêtent, puisque Lambchop est au fond un grand groupe punk qui n'en fera jamais qu'à sa tête et fait feu de tout bois, "Is a woman" se termine par… un reggae.