The call

Mal Waldron

par Hanson le 02/05/2006

Note: 8.0    

Mal Waldron en avait surpris plus d'un en rejoignant Embryo, l'une des formations phares du jazz-rock allemand, au début des années 70. Que lui arrivait-il, lui qui fut l'un des tout derniers pianistes de Billie Holiday à la fin des années 50 et qui ensuite accompagna d'autres géants du jazz comme Eric Dolphy ou encore Max Roach ? En réalité, Waldron était en pleine phase de remaniement de son jeu et de sa sonorité, ce qui le poussa à s'approcher des jeunes talents européens ainsi que des expatriés américains, eux-mêmes en rupture avec le langage musical en rigueur dans leur pays. Au sein de son quartet constitué de Jimmy Jackson, Eberhard Weber, Fred Braceful et lui-même, Mal Waldron réinterprète "The call" qu'il avait quelques mois auparavant enregistré avec Embryo. Alors qu'au cours de l'interprétation originale, l'atmosphère était résolument orientée vers un mélange entre musiques ethniques, jazz et rock, la musique glisse ici, sous la forme d'un exercice de style, vers un cadre jazz au groove explicite mais ouvrant sur des perspectives expérimentales en guise de conclusion.

Ce cadre est justement l'un des aspects déstabilisants lors de la première écoute du disque. Alors qu'aux dires des critiques Miles Davis avait donné le La des formations de jazz électrifié avec son "Bitches brew", le quartet de Waldron semble se positionner directement comme l'étape suivante : la batterie, cernée par un orgue, un piano et une contrebasse entièrement électriques, demeure l'unique instrument acoustique dans cette formation. Les premières réticences face à ce son légèrement aseptisé vont rapidement disparaître grâce la chaleur des musiciens qui tirent profit de cette ambivalence. Le touché de Waldron, sa façon si caractéristique de graviter autour des mêmes notes et des mêmes accords pour lentement s'en extraire et faire évoluer la composition, imprègne l'ensemble des deux titres de cette chaleur qui lui est si propre. Mais c'est probablement Weber et Braceful qui rayonnent ici. La contrebasse électrique, appuyée par une batterie soutenant à merveille les changements de climats, apporte la ponctuation à l'ensemble avant d'être elle-même leader au cours de deux long solos. Deux aspects de cet instrument vont alors être explorés : la recherche de grooves aux sonorités nouvelles pour l'époque d'une part et une courte excursion dans le jazz expérimental afin de conclure l'ensemble. La brièveté de ce dernier point est surprenante compte tenu du parcours respectif des musiciens. Fred Braceful était alors en pleine transition entre les excentricités de Wolfgang Dauner et son groupe expérimental Exmagma. Eberhard Weber participait aussi activement aux incartades de Dauner. Et pour terminer, Jimmy Jackson venait de contribuer au premier enregistrement tant controversé de Tangerine Dream. Il est dès lors indéniable que Mal Waldron s'est efforcé tant bien que mal de recadrer l'ensemble de ses musiciens, sans pour autant chercher à les dominer, afin de conserver son potentiel attractif auprès du public.

Naturellement, une légitime comparaison entre cette interprétation et celle d'Embryo s'impose. Sorti sur le label Japo, sous label de ECM, "The call" embrasse, avec néanmoins une certaine modération, cette esthétique froide propre aux disques édités par le label munichois. Avec l'introduction de nouveaux musiciens, la teinte musicale prend une tournure radicalement différente. Les deux enregistrements diffèrent notamment par leurs sections rythmiques. Celle d'Embryo, plus binaire, enracine la musique dans le rock, alors que l'autre certainement plus agile apporte la souplesse et les nuances recherchées par le jazz. Les expérimentations sonores ne sont également présentes que dans le quartet de Waldron, donnant un accent un brin cérébral à la fin de la deuxième composition.

Cette réédition japonaise de "The call" en avril 2006 est la première à voir le jour. La pochette cartonnée reproduit en format réduit la pochette originale du vinyle et le sérieux des publications japonaises assure une qualité sonore remarquable.