Manu Dibango joue Sydney Bechet (Hommage à La Nouvelle-Orléans)

Manu Dibango

par Sophie Chambon le 17/03/2007

Note: 8.0    

Quand on évoque la Nouvelle-Orléans, avant le fléau de Katrina, le nom de Sydney Bechet est immédiatement sur les lèvres, celui de Louis Armstrong également. Le rapprochement avec Manu Dibango est, par contre plus osé. On n'attendait sûrement pas le saxophoniste camerounais du côté de Bechet ! Or, pour fêter cinquante ans de carrière, le plus "parisien" des musiciens africains, à la tête d'une petite formation, choisie pour obtenir la couleur des années quarante, avec le talentueux vibraphoniste Dany Doriz, reprend quelques-uns des plus gros succès de Sydney Bechet, à la fin de sa vie, comme "Les oignons", "Petite fleur", "Dans les rues d'Antibes" et des thèmes mythiques comme "Royal Garden Blues" ou "Strutting with some barbecue".

Bechet ? Génial à la clarinette et au soprano, le plus parisien des Néo-orléanais jouait à tous les sens du mot : fidèle à la coloration créole, il avait un son aérien, volubile, virevoltant. Le musicologue Jacques Réda évoque "le feu plus encore que la lumière", dans sa lecture du jazz (dont une des couvertures au hasard des éditions est le tableau de Nicolas de Staël, en "hommage aux musiciens et à Sydney Bechet").
Avec finesse, le saxophoniste évite le piège de la comparaison, impossible au demeurant. Sans copier (comme il le souligne en rigolant, il ne s'est pas mis pour autant à la "carotte" et jamais son jeu ne tente de reprendre le vibrato de Bechet), l'altiste africain, roi de la pop, de la soul, rejoue avec une tendresse évidente des airs de sa jeunesse sur lesquels il dansait au Vieux Colombier. Son côté résolument solaire, voire débonnaire, apparaît dans son interprétation gouailleuse des "Oignons", ou dans l'évocation festive de certains thème inoxydables comme "Mahogany Hall stomp".

Bechet mais Armstrong également... Le rapprochement avec Louis Armstrong, clown souvent malgré lui, Manu Dibango se l'autorise et il trompettiserait même dans certaines attaques du "Do you know what it means to miss New Orleans?" dans une version efficace et touchante de ce thème incarné par Louis et Billie. C'est d'ailleurs un des titres que l'on préfère avec "As-tu le cafard ?". C'est à partir de cette plage qu'à notre sens l'album revêt tout son intérêt, car on ne s'avouera pas ému outre mesure par "Dans les rues d'Antibes" - le premier et le dernier titre de l'album - "Les oignons" ou "Petite fleur", chantée de façon décalée, plus près de la variété que d'un jazz néo-orléanais même dans sa phase de revival, même si Manu Dibango nous rappelle que ce succès fut d'abord une chanson.

Mais, c'est dans les plages proches d'un blues gravement solennel, voire désenchanté, que Manu Dibango joue avec le plus d'élégance et d'émotion (cela est visible dans les deux plages extraites du DVD, au demeurant plus que décevant) délaissant volontairement son rôle de dilettante plaisant. La formation laisse la part belle à Dany Doriz qui joue et prend des solos d'une troublante beauté. Le banjo de Nicolas Peslier et le tuba de Didier Havet sont parfaitement en place, ainsi que la rythmique, au swing solide, respectant les codes du genre. C'est un beau disque collectif, et l'hommage est réussi : contre toute attente, le choix de Manu Dibango se révèle juste. Un disque en apparence léger qui se révèle plus captivant que prévu.